LES RELATIONS MONDAINES

 

Index des noms cités (n° des lettres)

d’ARJUZON 26 - BALL – BARING- CAFFIN de MEROUVILLE 150 - CERNUSCHI 31 34 129 130 151 – CHAPMAN – CHARPENTIER 25 - DUMAREST 133 - DUVAL - d’ESTOURNELLE 26 - Charles EPHRUSSI 33 – Fanny EPHRUSSI 33 - FERRY - FOURTOU – GAMBETTA – GERVAIS 31 137 138 – Marie KANN 8 12 14 15151 – KRASINSKY - LAUTERS – LAVAUR - LAVELEYRE – LUMLEY - (BULWER)-LYTTON - MAC MAHON – MIRES - MONTEFIORE 122 151 – PICARD - PILLAUT25 – PILLET-WILL - SNEYD – TRELAWNEY - WOODFORD - ZAMOYSKI 138



BERNSTEIN, Madame I.

 

6. sans date (env. 1883-1885), lundi - 5 rue de Marignan - chiffre IB

Cher Monsieur,
Mon fils a la scarlatine et je viens vous prier de remettre à plus tard votre aimable visite, craignant que nous ne vous offrirons qu'une trop triste société.L'enfant va aussi bien que possible et la maladie suit un cours régulier.
Croyez, cher Monsieur, à mes meilleurs sentiments.

probablement Mme Marcel Bernstein (dont le mari est apparenté aux Ephrussi) et, dans ce cas l'enfant est Henri Bernstein, dramaturge 1876-1953, dont portrait par Manet, 1881 .


BOURGET Paul 1852-1935

Romancier, membre de l'Académie française.


8
. sans date - mardi 2h [28 novembre ou 5 décembre 1882, cx] - télégramme

Cher ami,
J'ai remis jusqu'à maintenant à vous répondre parce que je voulais avoir le cœur net sur la première des Variétés. Elle est, hélas !, demain mercredi et je ne pourrai pas aller à la gare, mais si Mme K*—— ne partait pas ce jour-là, je serais vôtre - et en attendant, je vous remercie de votre cordiale idée en vous serrant la main ex-vivo - par ce temps d'élection académique, excusez ce pédantisme.
Paul Bourget

* Mme K. est Marie Warchawsky-Kann avec qui il entretenait une liaison et qui part courant décembre soigner sa phtisie ou sa neurasthénie à Cannes - voir lettre suivante et lettres de Marie Warchawsky-Kann de décembre 1882

9. sans date - [18 décembre 1882, cp], ce lundi soir

Mon cher Deudon
Vous m'excuserez comme vous me l'avez promis de manquer à votre aimable fête ? Je pars demain pour Cannes et mes derniers préparatifs sont à peu près faits. Soyez auprès de vos hôtes l'interprète de mes regrets et croyez aux meilleurs sentiments d'affectueuse estime de votre ami,
Paul Bourget



CAHEN d'ANVERS Albert (1846-1903) et Loulia (1854-1918)

Albert Cahen d'Anvers, compositeur, 1846-1903, portrait par Renoir, frère de Louis Cahen d'Anvers, banquier - Renoir a fait des portraits dans la famille Louis Cahen d'Anvers (les petites Cahen d'Anvers), Albert Cahen d’Anvers (1881, Getty Museum, Los Angeles -. Loulia Warchawsky , sa femme, née à Poltava (Russie) est la sœur de Marie Warchawsky-Kann - portrait par Bonnat (1891, Musée Bonnat à Bayonne) - surnommée la petite perfection (Goncourt, 7 janvier 1882)

 

12. sans date - [1882-1883 cx], lundi - carte bordure deuil - 35 rue de Bourgogne

Je ne reçois pas dans la journée à cause de l'indisposition de ma sœur*. Si vous n'avez rien de mieux à faire, venez me faire votre visite le soir. Vous me ferez grand plaisir.
Loulia Cahen

*Marie Warchawsky-Kann (voir lettres de Bourget) est souffrante en 1882-1883 et passera plusieurs semaines à Cannes pour se remettre.

 

13. 2 février 1883 [vendredi] papier bordure deuil - monogramme surmonté couronne comte*

Cher Monsieur,
Chargée de quêter en faveur des œuvres de bienfaisance israélites de Paris, je viens faire appel à votre charité en vous priant de prendre des billets de la loterie dont j'ai été nommée dame patronnesse. Je vous remercie d'avance de l'offrande que vous voudrez bien me confier et vous prie d'agréer, cher Monsieur, l'expression de mes sentiments très distingués.
Loulia Cahen d'Anvers.
Le prix du billet est de un franc.
Je ne veux pas laisser partir ce billet quasi officiel sans vous envoyer un salut très amical.
LC.

* couronne de comte : ce papier à lettres est probablement un emprunt à son beau-frère le comte Louis Cahen d'Anvers, la quête devait être organisée par la comtesse Louise Morpurgo, sa femme.


14
. sans date - [mars 1883 cx ] - telegramme

Mon cher ami, mon départ est retardé de 24 heures, c'est demain mardi que je dois partir. Marie m'écrit de Cannes que le temps y est merveilleusement beau et qu'elle aime autant y rester un jour de plus. J'espère que ce mot vous arrivera à temps pour vous éviter une course inutile à la gare. Toutes mes amitiés.
Loulia.

 

15. 24 mars [1883, samedi ci] - papier uni bordure deuil

Cher ami, c'est vraiment très ingrat de ma part de ne vous avoir pas donné signe de vie depuis mon départ, à vous dont le souvenir fidèle m'a constamment accompagné jusqu'ici. Mais vous connaissez de longue date le peu d'empressement que je mets à la correspondance et n'était le désir de recevoir vos lettres et celui de vous dire combien j'ai été sensible à votre bonne dépêche du 18, je n'aurais peut-être pas encore aujourd'hui le courage de prendre la plume à la main.

Je n'ai rien de bien intéressant à vous raconter, nous menons à Nice une petite vie calme et dépourvue d'incidents. Lorsqu'il fait beau, nous en profitons pour explorer le pays qui a beaucoup de charme ; une promenade surtout nous attire particulièrement, c'est une belle forêt de pins où les daims et les antilopes se promènent librement, nullement effarouchés par les promeneurs - du reste peu nombreux. Au sortir de ce beau bois, on arrive à la mer qui est d'une beauté mélancolique très attirante et qui nous séduit beaucoup. Malheureusement, ici comme partout ailleurs, le mois de mars est variable et de temps en temps, nous sommes obligées de garder la chambre, ce qui est moins divertissant. Nous en profitons pour cultiver notre belle intelligence et acquérir de nouvelles connaissances ; ainsi tous les jours, une maîtresse d'italien vient nous initier à cette belle langue et nous déployons un zèle très grand et digne d'admiration !

Je crois que le séjour ici a déjà fait quelque bien à Marie, pourtant elle n'est pas encore bien brillante et c'est un grand souci et une grande préoccupation pour nous. Vous savez combien ce mois a été difficile à vivre pour nous, toutes les dures et tristes journées de l'année dernière ont été revécues avec plus de chagrins encore peut-être.

Ecrivez bientôt mon cher ami, vous nous ferez grand plaisir. Merci pour les journaux, pour Spencer* (que je n'ai pas encore lu) et mes meilleures amitiés.
Loulia Cahen.

* Herbert Spencer, 1820-1903 : philosophe - en 1883, avait déjà publié plusieurs œuvres

 

16. Telegramme 16 … (reste du cp illisible)

Cher Monsieur Deudon,
Voulez-vous être le plus aimable des amis et venir dîner avec nous Samedi ? En toute hâte, mes meilleurs souvenirs.
Loulia Cahen

 

18. 6 mars 1885, vendredi (cp) - carte de visite bordure deuil - 118 rue de Grenelle*

Mon cher ami,

J'accepte avec plaisir pour mardi à 7h au Café Riche, charmé de passer un bon moment avec vous. Ne vous étonnez pas trop de mon exactitude ! Bien vôtre.

Albert Cahen.

*118 rue de Grenelle : ancien hôtel du maréchal de Villars, demeure des Albert Cahen - Loulia Warchawsky-Cahen y hébergea sa sœur en 1914 (HKA) - portrait par Renoir, à Wargemont, 1881

Les CAHEN d'ANVERS

1.Josef Mayer Cahen d'Anvers 1804-1881 == Clara Bischoffsheim 1810-1876
     2.1 Raphaël Maximilien 1841-1900 == Irène Renée Morpurgo 1847-1888              3. Elise Clara Raphaëlle 1873-1899 ==1 F.de Faucigny-Lucinge
    
2.2 Louis 1837-1922 == Louise Morpurgo
             3.1 Robert 1871-1933 == Sonia Warchawsky 1876-1975              3.2 Elizabeth + en déportation
             
3.3 Alice == Charles Townsend
              3.4 Irene 1==Moïse de Camondo 2== comte Sampieri
les trois sœurs, qui étaient ravissantes, ont été peintes par Renoir en 1880 (Irène) et 1881 (Elizabeth et Alice)
                     4.1Béatrice de Camondo==Léon Reinach  (déportés                                             avec leurs deux enfants)


                     4.2 Nissim de Camondo 1892-1917

4.3 Albert Louis 1846-1903 == Loulia Warchawsky 1854-1918 (sans desc.)

2.4 Emma 1843-1901 == Edouard Levi Montefiore

3 Hélène == N… de Ricci

Recherches et établissement de cette généalogie : Michel Goldschmidt avec son autorisation pour une reproduction partielle.



DAUDET Alphonse 1840-1897

L'écrivain de la Provence

24. sans date - vers 20.6.1881

Accepté pour Jeudi, si vous voulez, mais pas hors de Paris, mon Dieu. A vous très cordialement, cher Deudon.
Alph. Daudet

 

25. 24 juin 1881 [vendredi] cp sur pneumatique

Je viens de voir Pillaut* qui ne peut jeudi. Il me proposait mardi et j'acceptais déjà quand ma femme me rappelle que nous sommes pris chez les Charpentier ce soir-là. Voilà donc le dîner par terre. Nous ferons cela à la rentrée. Affectueusement.

Alphonse Daudet.

*Léon Pillaut, musicien et musicographe, ami de Daudet (Ricatte)
*Goncourt signale un dîner chez les Charpentier avec Daudet le lundi 27 juin - et Charles Deudon reçoit une invitation de Fanny Ephrussi pour le soir du 27 juin 1881 - voir lettre 56

 



DRUMMOND Victor W.

Les Drummond appartiennent à l'aristocratie écossaise et le papier est frappé d'un timbre sec où le nom DRUMMOND est surmonté de la couronne ducale. Par ailleurs, ce personnage n'est pas identifié. Rotherham est dans le Yorkshire.

 

26. January 30 [avant 1863] - Pickhill Castle, Rotherham.

Mon cher Charles,

Qu'êtes-vous devenu ? Why the blazes do not you write to me as you said you would ? I wrote you a long letter six weeks ago, I am quite lost to know what has become of you. Now please, answer this and tell me all about yourself, and what is doing and how you liked the Embassy Ball.
Since I last wrote to you, I have been in Town (London) once for a fortnight where I saw the object of my London affections, in the cudling (=) line, such a little dear she is. I mean to bring her over to Paris when I come. I am now getting better of that horrid thing that that wretched Jezebel gave me in Paris. From London, I came here which is my brother's old Scarborough. He is a little better. Viscount Lumley and the ladies Lumley beg to be kindly remembered to you and I hope that you are well. Shooting very good here and the Hounds a sport as good as any in England. You seem very nearly to have lost yr Emperor*, how badly the Police must have managed.

When I go back to dear Paris I know not, but I do not mean to leave this till I am in a fit state. I should like to return as soon as possible, but this horrid thing may keep me 1 or 2 months more.
My hon. friend Col. Woodford who you remembered in Paris with the beard, was killed at Cawnsine (?) by a bullet through his throat.
Will you give the enclosed to Jeanne Lauters or leave it for me as you know where she lives, I forget the number, it was in the Passage Saunier.

I got a fall out hunting the other day, but did not hurt myself. I shall leave this soon to go to Belvoir where I shall hunt regularly during the time that I may be there. My sister and Baillie Cochrane go thro' Paris soon on their way to home. There are two beautiful young ladies staying here who I have made great friend with, they are perfectly lovely, Miss Sneyd is nothing to them. I hope [d'Arjuzon]* and Me d'Estournelle* are quite well. Remember me to them. I hope he likes his new regiment. Do you ever see any of my old friends in the female line, if you see Jeanne Lauters, give her my best love, I think her a charming person. Now, please, do write to me and tell me everything. What are my good colleagues doing, I hope they are all jolly. How have the Bal masqué gone off.
Remember me to your good mother* and hoping you are all well. Believe me your sincere friend.
Victor W. Drummond.
Try and find out and tell me anything about an English lady who is in Paris, a Mrs Baring who went over there about 6 or 7 months ago, and also about a Mr Onslow and the servants of Mrs Trelawney, at Beauregard I suppose.

* lost your Emperor : allusion à l'attentat d'Orsini (janvier 1858) ?
* d'Arjuzon : Victor W. Drummond écrit
d'Arjucon ou peut-être d'Arjuçon, mais il faut lire d'Arjuzon - il s'agit de Georges d'Arjuzon 1834-1900, qui participa à la campagne de Crimée (1855), quitta l'armée pour épouser Valentine Cuvelier et succéder à son père commme chambellan de Napoléon III - à la chute de l'Empire, il reprend le service armé qu'il termine comme lieutenant-colonel du 31e régiment d'Infanterie puis se retire définitivement en 1871 - un contemporain a dit de lui qu'il était un très joli homme, très lancé, surtout dans la société étrangère - ces renseignements m'ont été communiqués par son arrière-petit-fils, Jacques d'Arjuzon qui est auteur d'une Histoire et Généalogie de la famille d'Arjuzon (Paris 1978 - BNF cote 4-LM3-507)
* Madame d'Estournelle : probablement la femme du secrétaire de l'ambassade de France à La Haye, d'Estournelle de Constant qui était un ami de Charles Deudon
*your good mother : cette lettre est forcément antérieure au 29.4.1862, date de la mort d'Emma Deudon - elle semble écrite dans un certain état d'euphorie



DUMAREST Paul Louis Benoît 1834-1882

Préfet (Dordogne et Gard) – voir lettre 133, Léopold Kronenberg

 

27. sans date - papier à en-tête Préfecture du Gard

Mon cher Deudon,
Mon relieur : Canape, 18 rue Visconti.
Prenez note que vous me devez pour votre eau-de-vie 130,35 fr. Votre très pressé et très enrhumé,
Paul Dumarest.



28.
Nîmes, 8 janvier 1882 [dimanche] - telegramme

Mon frère Paul mort ce matin suite érésipèle compliqué de transport au cerveau - sera enterré Trévoux*.
Dumarest

*Trévoux : dans l'Ain - voir lettre 10 de Burty, qui parle d'une mort si brusque


EARLE Ralph, C.W., Max

collaborateur occasionnel de The Fortnightly Review - pas d'autres renseignements


31
. 28 août 1876, [lundi] - Londres

Cher ami,
C'est à Brighton que j'ai reçu vôtre (=) bonne lettre. J'étais sur le point de vous écrire à Cannes. Bien que vous ayez mal choisi le moment pour y aller, je suis charmé d'apprendre que vous rentrez à Paris rassuré sur l'état de votre malade. Vous savez que le Dr Ball m'avait fait une petite incision à la paupière. Cette opération, qui était la seconde que je subissais, n'a pas réussi et le mal s'est aggravé. Enfin, un de mes amis m'a fortement engagé à consulter un spécialiste éminent, qui m'a traité de nouveau. Il parait que la chose était moins simple que je ne le supposais, mais ayant pris du chloroforme, je n'ai absolument rien éprouvé. Il y a de cela 3 semaines et je suis presque guéri.

M. Chapman, à qui j'ai fait part de mon retour, vient de m'envoyer un exemplaire du Siècle avec une nouvelle lettre de M. Cernuschi. Les désastres financiers qui sont attendus ici sous peu, disposeront peut-être les esprits à essayer des mesures nouvelles telles que la monnaie bi-métallique. Hier, je me suis trouvé à dîner avec plusieurs députés dont l'un est un banquier considérable, et ils se sont tous accordés pour prédire very bad times. Les manufacturiers en général ne gagnent que fort peu, le commerce ne souffre pas moins, et beaucoup d'Anglais qui avaient fait des placements Turcs, Péruviens etc. se retrouvent obligés de diminuer leurs trains (=) de maison, ce qui contrarie beaucoup les marchands de ce quartier. Pourtant il y a un avantage, c'est qu'on n'a plus la même peur de ses gens, qui ne trouvent plus autant de concurrents pour les posséder comme par le passé.

Je regrette beaucoup que vous soyez inquiet au sujet de vos Hongrois. Je regarde depuis longtemps la baisse continuelle à Vienne (d'autant plus remarquable qu'elle venait à la suite du découragement dont on n'a jamais pu se relever depuis la crise de Mai [18]73 comme preuve certaine que nous sommes à la veille d'événements graves. Ce ne sont que des inquiétudes politiques qui peuvent amener une pareille déroute. Je persiste à croire que la politique allemande est essentiellement aggressive (=), quoique je ne puisse deviner le but immédiat de Bismarck. Quel que soit le résultat, je suis convaincu que l'Autriche sera amoindrie comme puissance, quand même elle serait amoindrie comme territoire. Je pense pourtant que le bouleversement économique et financier en Autriche-Hongrie ne sera que passager et que nous reverrons les beaux cours*.

Je suis bien aise de lire que vous êtes mieux portant. De mon côté, je me trouve décidément plus agile depuis que la température tiède nous est revenue. J'espère pourvoir aller à Paris en trois semaines. Je regrette que M. Gervais* soit resté à Paris par ce mauvais temps. A-t-il jamais songé à passer quelques jours à Versailles ? Je suis convaincu que, pendant la bonne saison, c'est un air excellent pour fortifier un convalescent.
Je vous serre affectueusement la main. Croyez-moi votre bien dévoué.
Ralph Earle.

* les beaux cours… : …de bourse
* Ernest Gervais : voir lettres Lavaur



32. 19 mai 1877 [samedi], Londres - papier devise "servare Modum"

Cher ami,
J'allais répondre à votre première lettre quand j'ai reçu celle du 17. Je ne saurais vous dire combien elle m'a fait plaisir et je me suis empressé de copier toute la partie relative à mon neveu pour l'envoyer à ma belle-sœur qui est actuellement à Bournemouth. En allant trouver Sydney et en lui consacrant une journée entière, il me semble que vous avez donné une grande preuve d'amitié dont je ne saurais trop vous remercier.

Je juge le coup d'état de Mac Mahon* à peu près comme vous. Aimant la France presqu'autant que vous l'aimez, j'ai été douloureusement surpris par cette nouvelle. J'espère et je crois que vous avez raison de dire que la manœuvre ratera. Il me semble que de Broglie n'a pas la main heureuse. Je le voyais autrefois chez Guizot. Il était alors constitutionnel doctrinaire avec tendances cléricales. Il ne m'a jamais fait l'effet d'un homme qui puisse faire de l'histoire. On prétend que Fourtou est plus malin, mais je doute fort qu'il réussisse à faire faire des élections conservatrices et je crains que l'amour-propre du Maréchal soit trop engagé pour qu'il puisse reculer. Je me souviens que vous disiez, comme plusieurs de ces messieurs chez vous, que le parti libéral n'agissait pas avec tact envers Jules Simon et qu'on aurait dû au contraire rendre son rôle aussi facile que possible pour que les élections puissent se faire sous l'influence d'un fond républicain.

Quant à la politique extérieure, je trouve que Moltke, sans trop se donner tort, a très habilement préparé une concentration formidable en Alsace-Lorraine. Ce n'est pas pour tomber sur la France, probablement, mais pour pouvoir faire ce que l'on veut ailleurs sans avoir à se préoccuper de votre intervention. Je ne vois pas ce que Bismarck peut vous prendre, à moins que ce ne soit une bande de territoire jusqu'à la mer pour faire de la Hollande et de la Belgique une enclave, mais ce serait une politique très ambitieuse et peut-être dangereuse. S'il vous imposait le désarmement, je suis convaincu qu'il vous rendrait un immense service, quoi qu'en disent les [? ill.]. Si, comme je suis disposé à le croire, nous sommes à la veille d'un nouveau développement de la puissance allemande, je suis convaincu qu'il n'y a pas moyen d'y résister. Ne comptez pas sur l'Autriche ni sur l'Angleterre.

Malgré la forte majorité ministérielle, Gladstone* a réussi à donné (=) une forte impulsion à notre politique extérieure dans le sens de la paix. Quand nous nous reverrons, je vous raconterai beaucoup de choses au sujet de la dernière crise du parti libéral.

Est-ce que vous serez encore à Paris vers le 7 juin ? Je voudrais y aller à cette époque. Je vous remercie de nouveau, cher ami et vous serre la main. Tout à vous.
R. Earle
Je trouve le discours de Gambetta superbe.

* Gladstone : premier ministre britannique - le 1er octobre 1878, Ralph Earle publie un article sur Gladstone dans la Fortnightly Review
*le coup d’état de Mac Mahon : le 16 mai 1877, le maréchal Mac Mahon, président de la république, dissout l’Assemblée – il devra démissionner 2 ans plus tard



33. 4 mars 1879, Londres [mardi]

Cher ami,
Nos dernières lettres se sont croisées. Comme vous, je ne serais pas disposé à craindre le retour des communards ; l'exilé rendu à sa patrie après 8 ans d'absence doit être jeune ou très énergique pour pouvoir reprendre son rôle et regagner son influence. Ce qui m'a beaucoup préoccupé, ainsi que je vous l'ai écrit, c'était la révélation faite d'une puissance plus ou moins occulte, qui évidemment savait arracher des concessions à la majorité et qui, certainement, ne s'en tiendrait pas à ne rien demander que l'amnistie. Vous admettrez que mes prévisions sombres commencent à se réaliser et qu'il y a lieu de craindre que les Ministères ne se succèdent, apportant chacun dans un programme plus accentué que son devancier, jusqu'à ce que l'on arrive à un homme capable d'exercer une dictature plus ou moins avouée, ou qu'une réaction monarchique se produise. J'aimerais savoir ce que c'est que Clémenceau ; peut-être est-ce un homme d'action, moins hâbleur que Gambetta et nécessairement moins usé.

Je vous écris aujourd'hui pour vous prier de dire à M. C[harles]. Ephrussi que je lui adresse par la poste le catalogue de la bibliothèque de feu baron Hearth, consul général d'Italie, qui sera vendue la semaine prochaine. Le livre de sir W. Stirling-Maxwell sur Dürer se trouve dans la collection. J'en ai parlé plus d'une fois à M. Ephrussi et les exemplaires en sont bien rares. Si je puis lui servir à quelque chose, qu'il dispose de moi. J'ai été on ne peut plus flatté de ce que vous m'avez écrit au sujet de Mme [Jules] Ephrussi. Je l'ai trouvée remplie d'un dignité sereine, ainsi que de bonté et de charme.

Je vais un peu mieux. Une semaine sans rechute ! Donnez-moi bientôt de vos nouvelles, et renseignez-moi non seulement au sujet de votre santé mais de toutes vos préoccupations. Croyez à mes sentiments affectueux. Tout à vous.
R. Earle.



34. 27 mai 1879 [mardi], Coblence

Cher ami,
Me voici encore en voyage. Je suis venu à Coblence pour consulter un médecin allemand et, puisque l'Impératrice l'emmène demain à Berlin, j'ai dû me mettre en route un peu plus tôt que je l'aurais voulu. Il me conseille de prendre les eaux de Soden, un petit trou près de Francfort, peu connu des étrangers à l'exception des Russes, et je m'y rendrai demain. Il me semble qu'il y a très longtemps que je suis sans nouvelles de vous et cependant, il y a beaucoup que je voudrais savoir sur votre compte. D'abord, si votre santé n'est pas bonne, dites-moi ce que vous allez faire pour l'améliorer, car il ne faudrait pas perdre le beau temps, si toutefois il nous en arrive cette année. En cherchant bien, vous devriez trouver une source réparatrice, soit en France, soit en Allemagne. Malheureusement, nos médecins sont fort ignorants en pareille matière. Nous allons voir si Soden me fera du bien. Il est certain que jusqu'ici, le seul de ces endroits dont j'ai pu retirer quelque avantage est Weilbach, tout à fait inconnu à Londres.

En venant ici, je me suis arrêté à Liège pour voir M. de Laveleyre . Nous avons parlé de Cernuschi et M. de L. s'est déclaré favorable au bi-métallisme. J'aimerais savoir ce que votre ami pense du système de M. Lowe. Il me paraît bien insuffisant.Votre république me fait fort l'effet de s'enfoncer de plus en plus, ces procès de presse (?) sont assez ridicules et il devient de plus en plus évident que le projet de loi Jules Ferry est d'une grande imprudence. J'espère que chez nous, on va enfin être raisonnable et accorder aux Irlandais l'Université Catholique que 4/5 de la population désire. avoir ; mais que de peine pour arriver à la solution qu'indiquent depuis si longtemps l'équité et la bonne politique ! Gambetta n'a pas précisément agi comme s'il avait voulu apaiser le conflit Cassagnac-Gillet.

On trouve, en revenant sur le Continent, que le gouvernement Beaconsfield a perdu exactement son prestige à l'Etranger dans la même mesure que chez nous, - ni plus ni moins -. Je suis enchanté de la polémique que font vos journaux contre nous. Je vous le disais bien, on se pressait beaucoup trop en France de se chauffer pour l'Alliance Anglaise. Le fait est que notre alliance vaut très peu pour une puissance continentale à la longue. On aurait peut-être pu s'entendre pour entreprendre une guerre imminente en commun, mais croire que parce que la France, pour nous faire plaisir, nous seconde en diminuant tant (=) que possible le nombre des Bulgares émancipés, l'Angleterre plus tard vous viendra en aide sur le Rhin, est vraiment par trop naïf. Il n'est pas du tout impossible que dans l'intervalle, un ministère anglais soit arrivé aux affaires qui pense qu'il ne peut pas y avoir trop de Bulgares dans le monde et qui, par conséquent, ne vous saurait nullement gré de votre zèle imprudent . Nous sommes, d'ailleurs, un peu plus mobiles que les Français et si nous n'étions pas insulaires et désarmés, nous serions capables de faire autant de bêtises que Napoléon III lui-même. Quand il n'y a pas de la bonne politique à faire, il vaut mieux ne pas en faire du tout, principe élémentaire oublié par votre Waddington.

Je trouve ces vers fort brillants ; veuillez les lire attentivement et me les renvoyer. Tout à vous de cœur.
Ralph Earle.


35. 19 April [1883, jeudi] (ci) - 74 rue Jouffroy - Wednesday Thursday

Dear Mr Deudon,
My father and mother have told me to come home on Friday because I have spots on my head, I am awfully sorry but it is not my fault. I have been down to the egoux (=) today, they are very big and one goes in a little tramway pulled by 4 men (12 in one tram) and after that one goes under the rue de Rivoli and then one get into a boat goe which goes up the rue Royale. One goes down at the place du Châtelet and one comes out at the Madeleine. They do not smell a bit. I have no time to write and I have to pack up for to-morrow morning. I remain,
Max*.
When you come to London, you must write to me.

*Max [Earle] : neveu de Ralph Earle (lettre 37)


36. 17 novembre 1883 [samedi], Londres (cp)

Cher ami,
Je viens de recevoir la petite R.7 que vous avez bien voulu m'envoyer. J'ai été bien aise de pouvoir lire le discours de Gambetta, dont Figaro (=) ne donne que des extraits. Depuis 10 jours, j'ai la goutte, mais j'espère être assez remis pour pouvoir partir mercredi pour Paris.

Voulez-vous me donner une nouvelle preuve de votre très grande amabilité ? Il s'agirait d'aller à l'Hôtel Meurice demander si je pouvais avoir pour jeudi prochain, soit une très bonne chambre à coucher, soit un petite (=) appartement (pas à l'entresol), donnant sur la rue de Rivoli. J'aimerais savoir ce que l'on fait payer pour la nourriture de l'héritier qui aurait aussi besoin d'une chambre. C'est pour être au soleil que je compte faire cette infidélité à l'Hôtel Mirabeau. Je vous serais très reconnaissant. Tout à vous.
Ralph Earle.


37. 10 décembre 1883 - 5, Bryanston Square - signée C.W. Earle

My dear Deudon,
I am sending you by bookpost a copy of Lytton's* life of his father (as far as it has been published) which has just come out. It is interesting I think and Lytton's writing good. One of the book cuts, a view of the Brent a stream near London, is from a sketch by my wife drawn under rather amusing circumstances. L. asked her to make the drawing and drove her to the place, as near to it as they could get in a hansom cab, some 5 miles out of London. Having chosen the view, they sat under the bank, she sketching, when they were startled by hearing rifle shot and bullets whistling over their heads. They had posted themselves in the line of fire of a volunteer rifle range, but were hidden from view of the men firing by the bank they were under. They dared not come from behind their cover, for they might have been hit before they were seen. The day was now ending and they wanted to get back to London; so the position was embarrassing and the only way out of it was by getting down into the bed of the river and walking across it.. This they did, having taken off their shoes and stockings, and being helped across by some lads who were fishing. They were able to retreat in safety.

We are thinking of sending Lionel to Paris again after Easter, but not to a family. The intention is that he could follow a course of lectures at one the colleges, have a tutor and live in lodgings or in a hotel. There is of course some risk but he is sharp enough not to get into foolish troubles, and as to temptations where is a boy of 18 protected from them ? What do you think of the plan ? And can you send me any advise as to what college he has best go. Of course, french is the great object. The lectures would be chiefly a mean to the end, but as he is destined for that useless career - diplomacy - it would be useful for him to study international law, if there are lectures on the subject given. I should like to find a cultivated man of the world who would do tutor to him, insofar in giving him instruction in french and latin, and guiding him in his choice of lectures, or college. It might not to be impossible to find such a man, perhaps a friend. If you can give me any suggestion as to the best way of searching, I shall be very grateful.
Lionel has been at a tutor's near London since the summer and goes back here till Easter. He is very tall and rather good looking and graceful. I suppose you would hardly know him. Sydney come home from Cambridge and Max from his school in a week. The latin has turn all his Paris civilization and is a mere brutal english schoolboy, delighting in football and this savageries.
I was sorry not to be able to show any hospitality to the Ephrussi, but the house was empty and all the establishment to the country, so I could do nothing. My wife sends you all sorts of kindness. Ever yours.
C.W. Earle*

*apparamment le frère de Ralph Earle, Charles Deudon avait passé une journée avec son fils Sydney (lettre 33)
*Edward Bulwer-Lytton : écrivain prolixe dont les publications ont été des best-sellers en leur temps - outre une vie agitée - membre de la Chambre des Communes puis de la chambre des Lords – son œuvre la plus populaire est Les derniers jours de Pompei – son fils : Edward Robert Bulwer-Lytton, diplomate (vice-roi des Indes) et écrivain sous le nom de Owen Meredith – la biographie de son père paraît en 1883 http://staffweb.lib.uiowa.edu/shuttner/MEREDITH.HTM



GIBERT Edouard

Rien ne m’a permis d’identifier Edouard Gibert qui faisait partie de la "bande " de jeunes gens qui était la société de Charles Deudon avant sa rencontre avec les Ephrussi. Il est cité dans des lettres des années 1860-1865 par une jeune demoiselle italienne à la vertu apparemment peu farouche – la lettre 116 donne une idée assez crue de ce que pouvaient être les préoccupations d'argent dans la bourgeoisie de cette époque

 

116. 2 mars 1871 [jeudi]

Mon cher ami
Les ennuis et les dégoûts commencent déjà à m'assaillir. Indépendamment des chagrins excessifs qui me navrent, je ne trouve d'autres adoucissements à mes douleurs que la perspective de comptes à rendre aux gens les plus durs et les plus cruels, aux ennemis si acharnés que tu connais. On me fait déjà miroiter devant les yeux inventaires, conseils de famille, placements assurés, etc.,etc, et tu vois d'ici la conséquence ! L'avenir de mes enfants est assuré ; leur part leur revient beaucoup plus qu'entière, mais cela ne suffit pas. On voudra fouiller dans tout le reste, et je n'aurai ni trêve ni repos.

Je n'accuse nullement ma belle-mère, dont la douleur est presqu'égale à la mienne, mais tu vois d'où partent les premiers coups. Mon pauvre père trouvera dans cette affaire une distraction aux chagrins que les Prussiens lui causent, et remplira le vide que fait auprès de lui la mort morale de ma mère. Il aura l'occasion de fouiller partout, de se mêler à tout, et de se venger sur moi de ce qu'il éprouve aujourd'hui. Mr. mon beau-frère sera enchanté de faire chorus et se vengera à son tour sur moi du courage que j'ai montré mais qui lui a fait défaut ; ma belle-mère reprendra toute la haine qu'elle avait auparavant et qui disparaissait devant notre malheur commun ; donc, deux ennemis et mon père furieux. Quand il est furieux, c'est le plus redoutable des persécuteurs.

Tout naturellement, ses lettres ne manquent pas de me faire présager tous ces tracas. Dans une circonstance très accessoire, il a déjà commencé à sonder le terrain et ne le lâchera pas ! Il paraît qu'il continue ses promenades rue du fg Poissonnière et il me demande de lui faire parvenir le moyen de mettre tels ou tels objets à couvert. Enfin il ne manquait plus que ces taquineries ! Les misérables savent que mon énergie dans les grandes choses tombe sous les assauts et les piqûres réitérées. Je ne suis pas devenu fou à Vichy où j'arrivai si rempli d'espoir, et d'espoir légitime en apparence ; je crois que je le deviendrai pas non plus cette fois ; mais il me faudra soit jeter tout le monde à la porte, soit abandonner la partie.

Or, fais attention à ceci : malgré la mort de ma femme qui désorganise ma vie et change du tout au tout ma situation, je ne renonçais pas à ma place de juge à Versailles. Impossible d'y songer ulitement (= pour utilement) si on me traque comme on va le faire à mon retour. Vois donc avec les amis ce à quoi on pourrait songer ; quelle position on pourrait me faire avoir. Je suis disposé à tout, même à quitter la France, pourvu que je m'éloigne de mes bourreaux.

Quand je pense que j'offrais les conditions suivantes : j'ai reçu tant, je restitue tant, une somme supérieure ! Vous le ferez immatriculer jusqu'à due concurrence au nom de mes enfants. Que voulez-vous de plus ? Les gredins répondront ; non ! nous voulons connaître ce qui ne nous regarde pas … mais ! Ah mon ami ! La triste chose que des parents avides et jaloux ! Voilà encore mon père qui se met à la traverse d'une position que j'avais quelqu'espoir d'acquérir.

Il m'est impossible de revenir à Paris avant quelques jours. Deux questions s'y opposent : Prussiens et climat. Comment rentrer au milieu de ces gredins ? Entrent-ils oui ou non ? Quant au climat, est-il assaini ? Puis-je t'amener mon enfant sans danger pour lui ? L'affreuse paix ! Combien toutes ces calamités viennent s'ajouter à mes douleurs !

Tu ne saurais t'imaginer combien ma femme me manque et surtout, je sens qu'elle me manquera. Veuf à 39 ans et père de deux enfants dont le plus jeune est à la mamelle, il ne me resterait plus qu'à en faire ma préoccupation de toutes les minutes si mon malheureux entourage ne me forçait peut-être dans l'avenir à les abandonner. Quelles leçons va-t-on donner à mon fils aîné ! ! Que sera pour lui son père, avec tout ce que certaines gens lui apprendront ! Plains-moi et continue à m'aimer. Je n'ai que mes enfants, trop jeunes, qui ne peuvent rien me faire supporter encore. Sans vous autres, je me brûlerais la cervelle.
Edouard Gibert.



HEIMENDAHL Madame

117. 28 avril 1880 [mercredi] - billet écrit au crayon - non signé


Ne pas fumer, se soigner les yeux et venir le plus tôt possible chez Mme Heimendahl.

J’ai enfin réussi à identifier Madame Heimendahl (ce billet et lettres Ephrussi 45 - 57 - 70 - 78).
Elle est une demoiselle Ocampo (ou O Campo). Les Ocampo sont une riche famille argentine dans laquelle deux personnes se remarquent : Victoria et Silvina, l’une et l’autre intimement mêlées au monde littéraire argentin et français. Adela Ocampo de Heimendahl est leur grand-tante et c’est à elles qu’elle lèguera un mobilier premier Empire (qu'Oriane de Guermantes trouvait si beau) que ces nièces ou leur famille lègueront à leur tour au Museo de Arte decorativo de Buenos Aires. Ce mobilier avait été acheté à Paris chez Lamary, Seligmann et  Cambray, vers 1880.  On trouve sur Wikipedia et en français des notices sur Victoria et Silvina O Campo, proches des écrivains Drieu la Rochelle, Bioy Casarès, Luis Borges.

http://www.lanacion.com.ar/archivo/Nota.asp?nota_id=729352
février 2008

 


 

Les HIERSCHEL de MINERBI

 

La recherche sur Ernesta Stern m'a d'abord entraînée à Trieste. C'est une belle ville complexe, au riche passé et aux communautés multiples - chef-lieu de la région Frioul-Vénétie julienne, elle n'est qu'à 150 km de Venise, 2h par l'autoroute. Trieste était le port de l'Autriche. Elle est rattachée à l'Empire autrichien (puis Austro-hongrois) depuis le 14 e s., un court intervalle français sous Napoléon1er, puis repasse sous domination autrichienne jusqu'au traité de Versailles qui rattache Trieste et la région à l'Italie. Ses identités multiples sont autant historiques qu'ethniques et elle accueille des communautés, dont la communauté juive à laquelle appartient Ernesta et qui compte des créateurs de valeur, surtout dans le domaine littéraire, on dira par exemple Umberto Saba ou Italo Svevo.

On peut trouver beaucoup de textes sur Trieste. Claudio Magris est un vrai spécialiste de Trieste - qui est sa patrie et qu'il a décrite en détail avec Angelo Ara dans Trieste, une identité de frontière - celui Béatrice Commengé, récit d'une touriste enchantée et cultivée, est très beau, très actuel et résume beaucoup d'aspects de cette ville : http://www.larevuedesressources.org/article.php3?id_article=154
mars 2009

 

LES ORIGINES

 

1. HIERSCHEL .

Joachim  (Haïm Susman-parfois écrit Joachimb) de Hambourg 1732-1794 ==  Ester Stella 1738-1803 (le nom n'est pas précisé) – négociant en textiles – s'établit à Trieste vers 1750 et reçoit le privilège accordé le 15 juin 1750 par l'impératrice Marie-Thérèse de Hoffaktor (fournisseur de la Cour impériale d'Autriche) – à cette même époque, élu représentant de la communauté israélite auprès des autorités civiles et le restera jusqu'à sa mort – la politique relativement libérale des Habsbourg envers les Juifs permet à Joachim de résider en dehors des limites du Ghetto de Trieste et il acquiert des biens immobiliers dans la ville - en 1786, son nom apparaît dans l'acte de fondation d'une société d'assurances maritimes qui, par évolution, deviendra le Assicurazione Generali qui existent toujours et ont leur siège à Trieste. Père de :

Filippo Caleb 1755-1822 == Stella Levi env.1757-1807 - pas  d'autres renseignements - figure sur un index de 1823 à l'adresse 657 et 658, deux maisons situées Piazza San Giacomo à Trieste.

Abram
Moisè
né 1779, dit l'Elemosiniero (celui qui fait des aumônes, le Charitable)
Caliman Isaaco 1783-1789
aux registres 2 employés aux écritures, 3 servantes

Moïse Hierschel de Trieste == 1er mar. 11.12.1801 Rachele Vivante de Trieste, fille de Leon Vivante, d'où
Stellina née à Trieste 29.1.1804
Gioachino 1806-1817
 Leone né à Trieste 23 octobre1807

== 2e mariage 21.12.1811 Isabelle Vivante         (sœur de la précédente)
Sara 1814-1838 == Giuseppe Pavia
au registre 2 employés aux écritures et une femme de chambre

Moïse Hierschel fait sa première acquisition immobilière à Precenicco en 1832, il continue en investissant dans le Trieste moderne de l'époque : construction en 1833 du palais Hierschel (9 Corso Italia), toujours visible à Trieste, et acquisition du Teatro Grande en 1835, toujours en activité à Trieste (l'llustration représente le théâtre dans son état actuel, après remaniements) ainsi que divers établissements dans la ville ; il est membre du Consiglio Ferdinandeo (sorte de conseil municipal) réservé aux notables. Leone est son seul fils.

Dans ce théâtre, la mère de Moïsé, Stella Levi, et sa femme, Rachele Vivante, connurent une fin tragique, attaquées et égorgées par un dément et c'est à la suite de ce meurtre que Moïsé épousa sa belle-soeur :

                                   "Il palco maledetto"
Sempre nel teatro Comunale (ora Giuseppe Verdi) c'è un palco che è conosciuto come il Palco Maledetto; tralasciamo di riportarne il numero per motivo di.... scaramanzia postuma. Vi si svolse un atroce fatto di sangue. La sera del 9 dicembre 1807 si trovavano in quel palco due gentili signore: Stella Hierschel (parente [moglie] di quel Moisè che nel 1835 comperò il teatro) e la bellissima cognata [en fait nuora, bru] Rachele. Vi si introdusse furtivamente Simone Hovall, uno squilibrato, che davanti al pubblico attonito sgozzò le sventurate donne. Fra urla di raccapriccio e terrore il pazzo fu bloccato ed arrestato: finì i suoi giorni in un manicomio criminale. Per moltissimi anni il palco non fu più occupato e ad ogni rappresentazione una mano ignota vi deponeva due rose rosse. Il tempo fece passare nell'oblio questa triste vicenda."

[La loge maudite - ... nous n'en donnons pas le numero à cause des superstitions posthumes... Le 9 décembre 1807 se trouvaient dans cette loge Stella Hierschel et la très belle Rachele Vivante...Simone Hovall, un déséquilibré, s'introduisit dans la loge et les égorgea... cris de douleur et d'horreur...le déséquilibré fut arrêté et finit ses jours dans un asile. Pendant de très nombreuses années cette loge resta inoccupée et à chaque représentation, une main inconnue y déposait deux roses rouges...]

Source : "IL NOSTRO TEATRO RACCONTA LA SUA STORIA" di Olga Micol De Caro 1997 - Edizioni di Letteratura e Storia - je remercie Madame Olga Micol qui a autorisé la publication.

Dans les Archives de la ville (Archivio di stato di Trieste - Giudizio civico e provinciale busta 992 fasc.147- Hovall) on trouve le procès complet du jugement du meurtrier. Ces archives apportent les détails suivants : l'évènement a eu lieu le 2 décembre 1807, la loge avait le n°9, les dames étaient accompagnées de Moisé, d'un représentant officiel de l'administration  impériale et d'un serviteur ; Stella est morte sur le coup, Rachele Vivante quelques heures plus tard, frappée de 5 blessures à l'arme blanche (aimablement transmis par Monsieur Livio Vasieri que je remercie) .

"Andarono in carrozza in compagnia del S.or Moise Hierschel" [che però non era presente al momento dell'aggressione. Nel palco N° 9 erano in compagnia] "come al solito di Giacomo Werwerha,d'anni 50, cattolico, ammogliato, nativo di Buccari, domiciliato a Trieste da circa 40 anni, Imperial Regio Officiante presso l'Amministrazione dei Salli."
[Ad aprire il palco era stato un servitore] "Abramo Romanel, detto l'Ollandese, d'anni 44 circa, nativo di Amsterdam, di religione ebrea, di condizione cantore della scuola ebraica, nubile" [che poi era andato via].

l'arme du crime (pièce du procès)

2. de MINERBI

Caliman de Minerbi de Trieste (1782-1878) et sa femme, Chiara di Angeli (1787-1864) de Venise, se sont mariés à Venise en mars 1805 ; ils ont 2 filles : Nina (Rachele), née en 1810 et Clementina née en 1816 et cette dernière épousera Leone Hierschel. Caliman de Minerbi était membre du Consiglio décennal de la communauté israélite, actionnaire et dirigeant de sociétés d'assurances ainsi que de la Société philharmonique et dramatique de Trieste ; Clementina reçoit une éducation où la musique a une part importante ce qui va avoir une l'influence sur la vie de Trieste.

Ce portrait de Caliman de Minerbi (une miniature sur ivoire) est exposé dans le Museo di Storia Patria di Trieste (Trieste, Civici Musei di Storia ed Arte, inv. 13/2482) - je remercie les responsables du Musée qui en ont autorisé la reproduction ainsi que Mme EBT qui m'a signalé la présence de ce portrait qui a peut-être été fait à l'occasion du mariage de Clémentine - il montre un bel homme, aux cheveux blonds ou prématurémment blanchis, dans la mesure où on peut dater ce portrait des années 1820-1830 puisque à ces dates il n'a la que la quarantaine.

 

Le mariage de Leone Hierschel et Clementina de Minerbi, célébré le 22 février 1833, fut fastueux et défraya la chronique : on comptait quarante voitures devant la maison de la mariée, les autorités civiles étaient invitées ; après la cérémonie et les rafraîchissements, les catholiques se retirèrent tandis que la fête se poursuivait pendant toute la nuit et les six jours suivants. La maison était surveillée par six gardes pour protéger le trésor en bijoux offert à la mariée et estimé à soixante dix neuf mille florins, Leone avait reçu outre un palais sur le grand Canal, les bâtiment de la Douane (bureaux et appartements). Les festivités se prolongèrent une semaine et le 25 février, Clementina se produisit dans un intermède de bel canto. Elle eut un salon, comme toutes les familles de la bourgeoisie de l'époque. En quelques années, ce salon devint un des plus recherchés ; le ménage y recevait peintres, sculpteurs, écrivains et musiciens, on y jouait de la musique et Clementina, qui avait pris des leçons de chant, se produisait en société, comme fera sa fille Ernesta plus tard - lorsque Verdi vint à Trieste pour la première représentation de son opéra Stiffelio (1850), il fut l'hôte de Leone et Clementina à qui il dédicacera son opéra de façon flatteuse.
C'est à partir de ce couple que le nom est devenu Hierschel de Minerbi et tous ceux qui ont porté ou portent ce nom encore aujourd'hui descendent de Leone et Clementina.

Leone Trieste 1807- Precenicco 8.12.1881
épouse Clementina de Minerbi Venise 1816 - Precenicco 19.2.1905

Leone 1807-1881 == Clementina de Minerbi 1816-1905

Elodia 1846-1865
Gioachino 1834-1905
Caleb Filippo Oscar 1835-1908
Clara Zoe
Maria Ernesta 1854-1926

Elodia (Rachele Hulda) mariée à Enrico (Salomon) Morpurgo, meurt en couches à 19 ans

Gioachino 1834-1905, a été peintre et graveur et s'est établi à Amsterdam où il est connu aussi sous le nom de van Hier, il est mort à Londres - on trouve des renseignements sur lui sur le site : http://vanhier.webs.com/family.htm (non vérifié)

Clara Zoe mariée (6.3.1870) à son ex-beau-frère Enrico Morpurgo d'où Mémé (une fille - vivante en 1901) - Clara Zoe est présente au mariage de sa soeur Ernesta, en mai 1874 à Venise.

Caleb Filippo Oscar 1835-1908 marié (1871)à [Giulia*] Obermaier - diplomate a été en poste à Bucarest puis ambassadeur au Mexique - il est le père de :
* dans son testament, Clementina lègue un collier à sa bru Giulia

Emma † 23.8.1897 à Mexico
Pietro (Pierino)
Carlo Leone Gioacchino dit Lionello

Lionello 1873-1937 == Antonietta Ines Cattaui d'où

Leonardo 1907- ? (desc.)
Oscar 1908-1951, épouse Eleonora Lekner (desc.)
Maria Giuseppina
Antonio

ces données m'ont été aimablement communiquées et proviennent de http://collegio-araldico.it/italiano/infolibro1.htm

Lionello Hierschel : il réalise le patrimoine familial de Precenicco qui est finalement vendu en totalité en 1922 - en 1905, achète la Ca’ Rezzonico, à Venise et y vivra jusqu’en 1935, année où il cède le palais à la ville, s’étant ruiné à l’embellir et l’entretenir – il fut également député (1909-1919) de Palmanova-Latisana, deux petites villes proches de Precenicco où il vécut jusqu’a la fin de la 1ère Guerre mondiale. Il est possible qu’il  ait vécu a Precenicco dans un palais Hierschel détruit par un incendie (1917) , mais  le parc subsiste – Lionello est mort à Rome - cela vaut la peine d’aller voir à quoi ressemble Palmanova si on ne connait pas.
 
A propos du palazzo Hierschel de Precenicco :

Presso villa Hierschel (incendiata nel 1917) sorgeva l'ospizio fortificato dell'Ordine di Santa Maria dei Cavalieri Teutonici di Gerusalemme, principale centro di assistenza per pellegrini e crociati di lingua tedesca diretti in Terra Santa. Oggi solo pochi elementi ricordano l'assetto del giardino in riva allo Stella con la torricella, la gloriette e tre laghetti comunicanti con il fiume.

 

 

3. Ernesta STERN  née HIERSCHEL de MINERBI 1854 - 1926

Maria (Miriam) Ernesta Hierschel, née après vingt et un ans de mariage de ses parents, est la dernière des enfants de Leone et Clementina. Elle est née le 8 décembre 1854 à Trieste et elle a passé au moins son enfance dans le palazzo Hierschel qu'on peut toujours voir au  Corso Italia, 9 - sur son acte de naissance, elle est enregistrée comme Miriam Ernesta, alors que sur son acte de décès elle est seulement Ernesta.
Elle s'est mariée avec Louis Stern (1840-1900) à Venise le 5 mai 1874 (elle n'a pas encore 20 ans), le mariage étant célébré par le grand Rabbin de Venise, Abraham Lattès. Le mariage n'a pas donné lieu à un commentaire aussi dithyrambique que celui de sa mère, il était peut.être plus discret ; l'entrefilet qui en rend compte se contente de cette description :

"Ieri, nella sala municipale straordinariamente affollata di dame e di elette persone, avvenne il matrimonio del sig. barone Stern di Parigi, colla baronessa de Hirschel di Trieste. Più tardi il padre della sposa convitava circa 40 persone a un sontuoso banchetto nel Grand Hôtel, servito in quel magnifico salone con ogni ricercatezza di buon gusto e di opulenza. Dopo il pranzo, fu improvvisata una simpatica serenata, nella quale cantarono la signora bar. Zoe Hirschel de Morpurgo, il sig. Levi ed altri, col simpatico effetto che sogliono offrire tali spettacoli, benchè dovesse terminare circa alla mezzanotte, in causa del tempo piovoso. Così passò lietamente una giornata che fu di buon augurio agli sposi, e che lasciò in quanti ebbero a goderne la più grata impressione."la Gazzetta di Venezia, 6 maggio 1874 (aimablement transmis par la Bibliothèque Marciana, dott. Michieli que je remercie).

[Hier, fut célébré à la mairie ...le mariage du baron Stern de Paris avec la baronne Hirschel de Trieste. Ensuite... il y eut un sompteux banquet de 40 personnes au Grand Hôtel, ... avec toutes les recherches du bon goût et de l'opulence... chants par la baronne Zoe Hirschel de Morpurgo et monsieur Levi...la journée se termina vers minuit à cause de la pluie, laissant la meilleure impession à tous ceux qui y  assistèrent et fut de bon augure pour les époux].

Louis Stern, mort à Paris le 11 février 1900, est banquier (et non joaillier comme indiqué sur certaines sources, mais collectionneur de pierres (pierres dure ? joyaux ?) ;   il est le fils d'Antoine Stern fondateur de la banque Stern - ils ont 4 enfants : Léon Antoine Jean 1875-1962 (officier de la Légion d'Honneur, Croix de guerre 1914-1918, Military Cross), épouse Cécile Lambert de Bruxelles - Pierre Charles Ernest Louis (non marié) - Marie Louise Fanny Clémentine Thérèse (portrait par La Gandara ?), épouse Armand Eugène Prosper de Chasseloup-Laubat - Lucie Ernesta Henriette 1882-1944, épouse Pierre Marie Girot de Langlade (descendance), la malheureuse mourra en déportation à Auschwitz le 24 janvier 1944 - un procès en restitution de biens spoliés attribuera en 2004 aux héritiers requérants la somme de 15 500fr suisses (env. 9 450€ en 2007).
Louis et Ernesta s'installent en 1885 au 68 rue du Faubourg Saint-Honoré, ancien hôtel de Fanny et Jules Ephrussi qui l'ont vendu pour s'installer au 2 place des Etats-Unis (lettre de Fanny Ephrussi 80) - au moment de sa mort, Ernesta est toujours domiciliée à cette adresse à Paris.

 

du site http : //www.apophtegme.com/ROULE/stern.pdf

Dans ce site, on peut lire deux pages sur Ernesta Stern qui sont illustrées d'une photo de l'hôtel du Faubourg St Honoré ainsi que de celle d'un portrait d'Ernesta Stern par La Gandara (mais dont l'attribution n'est pas avérée). L'hôtel était celui de Fanny et Jules Ephrussi avant leur installation place des Etats-Unis.

Hôtel Stern et son jardin vers 1920 avant sa destruction

Là où se dressait un bel hôtel 68, rue du faubourg Saint-Honoré démoli vers 1920. Vendu vers 1930 à la société l'Énergie industrielle, le terrain dut souffrir l'édification d'une laide bâtisse de béton abritant depuis un des services d'EDF. Seuls subsistent de l'ancien hôtel la porte cochère et le mur sur rue, sans doute bientôt frappés d'alignement. «C'est là, nous dit André de Fouquières , que je rencontrai pour la première fois son fils, qui fut propriétaire d'une écurie de courses fameuse et l'auteur de travaux historiques du plus haut intérêt.
Mme Ernesta Stern fut une figure bien attachante de la société parisienne. Je crois que sa famille était établie à Trieste, mais par son allure et par son caractère, c'est plutôt à la Sérénissime République vénitienne qu'elle paraissait appartenir. Il y a bien des façons d'être cosmopolite, et le style de Mme Stern s'apparentait à celui que j'imagine avoir été celui de la Cité des Eaux. Elle semblait être, par bien des côtés, fille de l'Italie médiévale et de Byzance, c'est-à-dire merveilleusement «adriatique».
Impérieuse d'allure et de caractère, mais d'une politesse raffinée, virtuose de la flatterie et capable de se laisser abuser par ses propres ruses, elle joignait à l'intelligence la plus souple et la plus aiguë, un étrange aveuglement de l'esprit critique. Son hôtel du faubourg Saint-Honoré était bien la plus personnelle des demeures, était bien «son» hôtel. Il n'avait pas été aménagé par quelque tapissier en renom (on ne connaissait alors ni le décorateur ni l'ensemblier), mais par elle-même et à sa ressemblance. Le «fond» était composé de meubles somptueux de la Renaissance italienne, de tapis de prière persans, de faïences et d'orfèvreries orientales. Brochant là-dessus, des vierges médiévales, des chevaux chinois, des divinités hindoues.

Mme Stern était parfaitement accordée à tout cela, qui n'était pas décor mais plutôt atmosphère, et atmosphère qui paraissait nécessaire à la respiration spirituelle de la dame de céans. Elle eût été mal à l'aise dans tout autre milieu et on eût éprouvé un malaise de l'y trouver. En ce temps-là, certes, il était fréquent que les appartements, et surtout les ateliers d'artiste, fussent encombrés d'un bric-à-brac confus de noires cathèdres, d'idoles barbares, de tentures asiatiques. Il s'agissait parfois de pièces de prix, mais les Parisiens donnaient l'impression d'être, non pas chez eux, mais en visite dans quelque musée sans âme, à moins qu'ils n'apparussent aussi négligeables que le gardien assis sur son tabouret, devant l'enfilade des salles, et plus somnolent que gardien.

Il y avait encore, dans ce temps là, quelques dames originales, et qui vivaient dans un décor qu'elles s'étaient forgé - une baronne Deslandes ou une Jeanne de la Vaudère , si vous voulez. Seulement on avait toujours conscience d'avoir affaire à des actrices sans théâtre, mais non sans rôle, et de contempler un décor. Rien de pareil, ni même d'analogue, chez Mme Stern. Faubourg Saint-Honoré, il fallait se rendre: tout y était   tel que cela devait être et il eût été proprement inconcevable qu'il en fût autrement. La société était encore très loin d'être ce qu'elle est devenue: beaucoup plus homogène, bien moins libérale. Mme Ernesta Stern avait, elle, le privilège unique de réussir spontanément à assembler autour d'elle les individualités les plus diverses. Ce qui eût été ailleurs cacophonie déplaisante était chez une véritable symphonie. Les princes de l' Eglise et les ballerines, les «initiés» et les athées, les barytons et les souveraines, les chefs d' Etat et les peintres évoluaient en liberté dans ses salons. Par un miracle constant, un mélange qui, normalement, eût dû être détonnant, ne provoquait pas la moindre appréhension.
Au moment de «l'Affaire», c'est-à-dire au moment de la pire division française et quand, même au sein des familles, deux clans se dressaient face à face, Mme Stern n'eut aucune peine apparente à franchir le cap des tempêtes. Je crois qu'elle ne perdit de vue, un moment, qu'un seul de ses familiers! Paul Bourget. Encore était-ce simple bouderie. Il faut donc croire que Mme Stern fut magicienne, et je n'écris pas cela parce qu'elle était férue des sciences occultes.
Cette dogaresse échouée au bord de la rivière cachée de la Grange-Batelière était un peu «vouivre». La fée Viviane du Roule. Messieurs les administrateurs de l'Électricité de France me paraissent radicalement insensibles à l'envoûtement.»

(André de Fouquières )

Sur le même site, on trouve un court dévelopement avec d'autres détails secondaires http://www.apophtegme.com/ROULE/roule01.pdf , (p 26)

Ernesta Stern méritait les compliments que lui fait André de Fouquières : elle était non seulement une femme que Goncourt qualifie de jeune et jolie (16 mai 1883, chez la princesse Mathilde où il l'entend chanter et il connait son portrait par Madrazo), mais elle était aussi extrêmement douée ; auteur de 23 (peut-être 24) romans, pièces de théâtre, récits divers ; elle voyage et écrit un récit de ses voyages, qu'illustrera un de ses amis vénitiens, l'architecte Raffaelle Mainella qui l'a accompagnée en Egypte. Elle dessinait agréablement (on trouve sur le Web un portrait de Raffaelle Mainella et un autre de Reynaldo Hahn). Cependant André de Fouquières est le seul à vanter les mérites de son salon, qu'il a pu fréquenter dans la mesure où Ernesta a continué de tenir salon après la mort de son mari (11 février 1900), car André de Fouquières qui n'avait que 25 ans en 1900 peut difficilement l'avoir fréquenté avant cette date.

A la mort de sa mère Clementina, Ernesta prélève sur sa part de quoi fonder une petite institution charitable à Precenicco en faveur des plus pauvres .

Ernesta Stern est morte le 7 mai 1926 à Roquebrune Cap Martin (Alpes-Maritimes), dans sa villa Torre Clementina aujourd'hui classée monument historique. Elle est inhumée à Menton dans le cimetière du château. La villa Torre Clementina a été construite avec le concours de son architecte déjà cité, Raffaelle Mainella, et elle semble très belle d'après la reproduction ci-dessous et la note de classement des Monuments Historiques.

 

Elle est ainsi décrite dans la fiche des monuments historiques :

Propriété dite Villa Torre-Clementina à Roquebrune-Cap-Martin ( 06 )

Catégorie : Maison
lieu-dit : Cap-Martin-Dragonnière
adresse : Impératrice-Eugénie (avenue)
éléments protégés MH : jardin ; fontaine ; bassin ; fabrique de jardin ; portail ; décor intérieur ; chemin
époque de construction : 1er quart 20e siècle
année : 1904
auteur(s) : MAINELLA Raffaële (architecte paysagiste)
HESSE Lucien (architecte)
historique : Villa construite par l'architecte Lucien Hesse peu après 1904 (date du lotissement du domaine privé du Cap-Martin) pour Ernesta Stern, femme de lettres qui a publié des contes vénitiens sous le nom de Maria Star. L'aménagement intérieur de la villa, d'inspiration orientalisante, ainsi que les jardins, sont l'oeuvre de Raffaële Maïnella, peintre de paysage et de genre, né à Bénévent (Italie) en 1858, et que la commanditaire a fait venir de Venise. Le jardin se caractérise par un long cheminement qui fait traverser les trois parties d'un jardin géométrique inscrites dans la pinède et comportant une dizaine de fabriques.
propriété d'une personne privée
date protection MH : 1991/02/11 : inscrit MH
La villa en totalité avec ses décors intérieurs, portails, jardins avec leurs cheminements, fontaines et pièces d' eau, fabriques, sculptures, autres éléments lapidaires et ornements, à l' exclusion de la partie située au nord de l' avenue (cad. AD 104, 105) : inscription par arrêté du 11 février 1991
site protégé : site classé ; site inscrit
observations : Cap Martin : site classé 26 12 1974 (arrêté) ; Littoral : site inscrit 20 03 1973 (arrêté).
type d'étude : recensement immeubles MH
N° notice : PA00080959
© Monuments historiques, 1992

Pour terminer, l'acte de décès (Roquebrune Cap Martin) et la tombe d'Ernesta Stern (Menton) :

acte de décès   tombe de Menton

 

SOURCES

Je remercie particulièrement :
les Archives de la Communauté israélite de Trieste et en particulier Mme Hassid à qui je dois de précieuses informations
les Archives municipales de Precenicco (Monsieur Edi Pozetto)
la bibliothèque municipale de Trieste

Les responsables de ces organismes se sont montrés des personnes aimables, compétentes, diligentes et généreuses et j'ai plaisir à leur faire ce remerciement particulier.

Pour le reste, ce qu'on vient de lire résulte de la compilation d'informations recueillies sur Internet avec vérifications de points de détail lorsque cela a été possible. Voici la liste des sites consultés - dont je remercie les auteurs connus ou inconnus et dont je recommande la consultation :

http://www.comune.precenicco.ud.it/albo_pretorio/docs/profilo/profilo_comunita.pdf (histoire de Precenicco )

http://www.provincia.udine.it/italiano/Territorio/Turismo/Itinerarion8/index.aspx (Precenicco)

http://www.triestebraica.it/cinquepermille (Communauté israélite de Trieste)

http://www.apophtegme.com/ROULE/stern.pdf Hôtel Stern (Ephrussi)

http://www.apophtegme.com/ROULE/roule01.pdf (Hôtel Stern)

http://www.farhi.org/genealogy/index.html   (Cattaui)

http://www.hsje.org/The%20House%20oof%20Yacoub%20Cattaui.html   (Cattaui)

http://www.atrieste.org/ (Trieste)

http://histoire.villennes.free.fr/ChargeRubrique.php?R=Rubrique74&P=EH (Villennes sur Seine)

http://davidgenther.com/pages/Gallery_Arch.html (villa Torre Clémentina-ce site semble avoir disparu)

http://www.patrimoine-de-france.org/oeuvres/richesses-88-25650-170406-M158100-411667.html (villa Torre Clementina)

http://www.lagandara.fr/femmes7.htm ( La Gandara )

http://maps.live.com/default.aspx?v=2&cp=45.905136~13.311374&style=a&lvl=15&tilt=-90&dir=0&alt=-1000&scene=10968608&trfc=1&encType=1  (Palmanova)

 

* * *

Cette notice sur la famille Hierschel de Minerbi n'était pas indispensable à la lecture des lettres à Charles Deudon, mais puisque la recherche était faite, qu'elle s'est révélée intéressante, qu'elle a mobilisé de nombreuses bonnes volontés, je n'ai finalement pas voulu la mettre sous le boisseau. Telle qu'elle est, elle intéressera sûrement quelques personnes puisque quatre ou cinq ont déjà marqué leur intérêt.
Je n'ai d'ailleurs pas mis sur ce site toutes les informations qui ont été retrouvées, mais elles figureront dans une Histoire de la commune de Precenicco (de M. Edi Pozzetto, archiviste de Precenicco) et qui devrait être publiée vers 2009 (Comune di Precenicco , 22 Piazza Roma, 33050 Italie).

juillet 2007 - mars 2009.

 


KANN Marie née WARCHAWSKY 1861-1928

Marie Warchawsky est née le 6 mars 1861 en Russie, elle meurt veuve et apparemment seule le 28 novembre 1928 à Paris . Elle épouse (mariée au 9 janvier 1882) Edouard Kann (portrait par Bonnat) - c'est par erreur que l'ouvrage Les Donateurs du Louvre, 1989, lui donne pour époux Edouard Jacques Kann fils de Maurice Kann le collectionneur, voir généalogie Kann - maîtresse de Bourget (voir lettres 6 et 7), on lui attribue aussi une liaison avec Guy de Maupassant – cette liaison, si elle a bien eu lieu, n’a été ni longue ni bonne, vu l’état de Maupassant : d’après les récits de seconde main de Goncourt, toujours à se repaître de scandales, la séparation d’avec Bourget était accomplie en septembre 1890 – le 2 décembre 1891, Maupassant qui est à Cannes, écrit une lettre pathétique à Loulia Cahen d’Anvers où il lui dit qu’il se sent mourir et il joint une lettre à remettre à Marie, elles sont l’une et l’autre à Paris– le 24 décembre, Marie et Loulia qui sont à Cannes avec leurs familles viennent le voir – le 31 décembre, il va voir sa mère à Nice, il a un accès de délire et dans la nuit fait une tentative de suicide ; au cours de ce même mois de janvier, il est interné à la clinique du Dr Blanche, il est probable qu’il ne revoit plus Marie, il meurt en 1893 (http://maupassant.free.fr/corresp1.html) lettres 738, 746). Marie Kann était intime de la princesse Mathilde, cousine germaine (HKA) ou tante (Ricatte, ce qui est plus probable de Ida Rubinstein qui avait à peu près 20 ans de moins que Marie. Elle semble avoir été un personnage assez fascinant et Goncourt a été sensible à sa beauté et sa séduction, sa culture, son intelligence - la belle-sœur de Marie, Hélène Kann-Allatini (demi-sœur d'Edouard Jacob) trace à peu près le même portrait que Goncourt : une jeune femme ravissante, au charme slave ravageur, intelligente et cultivée, mais aussi monstre et merveille, dépensière et ruinant son mari (à noter qu'elle ne ruina ni Bourget ni Maupassant), toxicomane jusqu'à devoir subir des cures de désintoxication. Il ressort un peu de cela dans les lettres tristes et véhémentes qu'elle adresse à Charles Deudon - au moment où elle les écrit, elle était au moins neurasthénique. C'est également par Hélène Kann-Allatini que nous savons que les Warchawsky avaient six enfants, c'est-à-dire deux fils de plus que ceux mentionnés dans le faire-part de décès d'Isabelle Portugaloff-Warchawsky, qu'on trouvera plus loin.
Une tradition de famille veut que Marie ait rencontré son futur époux au cours d'un séjour à la montagne alors qu'elle avait à peine vingt ans. Or, lors de son séjour en Engadine en 1880, Charles Deudon rencontre les Kann (lettre 32 du 24 août 1880) ; il est bien possible que ce soit ce même séjour où Marie rencontra son futur et malheureux mari.


118. sans date - vers 1880 - pneumatique cp peu lisible

Cher Monsieur
Nous comptons absolument sur vous pour mardi à dîner donc il n'y a pas à "refuser". Bonnes amitiés.
Marie Warchawsky.

 


119. sans date (1880/1881) - papier gris uni

Cher Monsieur,
Au cas où vous n'auriez pas encore vu "Charlotte Corday"*, vous seriez très aimable de venir nous rejoindre ce soir à l'Odéon loge 39. Nous serions on ne peut plus charmées, ma belle-sœur* et moi, de vous avoir de notre société. Après cette phrase écrite en si bon français, il ne me reste plus qu'à espérer que vous n'avez pas d'autres engagements et à vous prier de croire à mes meilleurs sentiments.
M. Warchawsky.
Ce mercredi matin.

* Charlotte Corday : pièce de François Ponsard, jouée à l’Odéon en 1880 et 1881
*ma belle-sœur : probablement Louise Morpurgo-Cahen d’Anvers, belle-sœur de Loulia Warchavsky


120. sans date - vers 1880 - papier uni gris

Cher Monsieur,
Il est bien entendu, n'est-ce pas, que vous viendrez avec nous à la Comédie demain soir ? Comme c'est ma belle-sœur* qui a le ticket de la loge, je ne puis vous dire le numero, mais je vous l'enverrai demain. J'espère, c'est-à-dire, nous espérons bien que vous n'aurez pas disposé de votre soirée d'une autre manière et je vous envoie, dans cette agréable pensée, un très cordial au revoir.
Marie Warchawsky.
Voulez-vous goûter si le caviar venant directement de Russie est meilleur que celui que vous trouvez ici ?

*ma belle-sœur : voir lettre précédente



121. sans date - papier uni

Mon cher ami,
Le numéro de la loge est 38 aux premières. Affectueux compliments.
Marie.


122. sans date - papier uni - écrit au crayon

Cher Monsieur Deudon,
Si vous voulez assister à une représentation théâtrale tout à fait originale, venez dimanche soir à 9 heures moins un quart, 118 rue de Grenelle*, et vous assisterez à mes débuts scénique. Je vous recommande le secret le plus absolu ; nous serons en famille et je ne veux personne. Je suppose que je vous verrai encore d'ici là, et vous aurez des détails. Amitiés.
M W.
C'est moi qui vous invite, vous n'avez donc besoin de rien dire aux Montefiore du "billet de faveur" que je vous octroie.

*118 rue de Grenelle : adresse des Albert Cahen d'Anvers - voir aussi lettre 18

 

123. sans date - papier bordure deuil - cachet MK - 33 rue de Monceau

Vous seriez mille fois aimable, mon cher Monsieur Deudon, en venant dîner chez nous lundi prochain. Vous seriez de plus sûr d'avoir fait plaisir à des amis très dévoués, ce qui est considéré dans les enseignements de la morale comme une grande satisfaction.
Marie Kann.


124. sans date - papier uni - écrit au crayon

Mon cher ami,
Ne m'avez-vous pas promis de me mener à l'Exposition ? Si je ne me trompe pas et que vous êtes toujours animé de bonnes intentions à mon égard, venez me prendre demain à 2 h si vous pouvez et nous ferons une bonne école buissonnière. Bien affectueusement.
Marie K.
Ce vendredi soir.

 

125. sans date (1883 ?)-carton bordure deuil - monogr. MARIE - écrit au crayon

Mon cher ami,
Voulez-vous mettre l'adresse du jeune Earle sur l'enveloppe que je vous envoie ci-joint et la remettre tout adressée au commissionnaire porteur de ces lignes. Ladite enveloppe contient le n° du fauteuil de Mr. K. à l'Opera pour ce soir. Au cas ou vous seriez sorti, j'ai donné ordre de vous laisser le petit mot et alors vous vous chargeriez; n'est-ce pas, de le lui faire parvenir. Mille amitiés.
Marie

le jeune Earle est mentionné en 1883 (Lionel ou Max)

 

126. sans date - papier bordure deuil

Mon cher ami,
Je suis navrée mais obligée de vous prier de ne pas venir dîner ce soir. La Princesse Mathilde est venue me voir tantôt et m'a conviée à jouir du redoutable privilège d'un dîner impérial. Or, il est à ce qu'il paraît d'usage de ne tenir compte d'aucun obstacle quand les princes ont parlé et il paraît encore qu'il faut leur sacrifier ses meilleurs amis.
Hélas et pardon, je ne suis pas faite pour les grandeurs et dans le cas présent, elles me pèsent, je vous assure. Pouvez-vous me donner mardi prochain ? Bonnes amitiés.
Marie.

 

128. 10 décembre 1882, dimanche Cannes, - papier uni

Mon cher Monsieur Deudon,
Quelle peut bien être la malencontreuse phrase que j'ai dite au moment de partir ? J'ai beau creuser ma pauvre tête, je ne trouve rien sauf les quelques mots suivants : " Ce qui me console de la peine que j'ai, c'est que vous tous ici présents, en avez de me voir partir." Comment cela a-t-il pu vous blesser et pourquoi ? C'est une question que je me pose depuis que j'ai reçu votre bonne lettre. Peut-être ai-je dit autre chose, mais vraiment, vous m'aurez mal comprise car je n'ai eu, en partant, pour vous tous qu'un profond sentiment d'affection et de regret, et je ne puis, volontairement, avoir exprimé une pensée qui ait pu froisser les chers amis que je laissais derrière moi.

L'eau du ciel coule toujours et je la regarde couler avec mélancolie. Au fond, je ne devrais pas me plaindre, car pour une personne qui n'aime pas le bleu, je suis servie à souhait. Toutefois pour prouver une fois de plus le peu de logique des femmes, je souffre pas mal de la morne tristesse de tout ce que je vois à travers les barreaux de ma prison. La mer plate et les nuages lourds me rappellent trop vivement et la platitude et le poids de la chose éminemment grise qui est la vie…Et je me surprends à regretter les longues journées bleues, pendant lesquelles assise au bord d'une mer argentée, l'on pouvait se laisser aller à des états de langueur qui sont comme un repos de l'âme. Car ils vous éloignent autant du rêve que de la réalité.

J'ai lu pas mal depuis mon arrivée et entre autres choses, le livre de Mallock* "Is life worth living" qui ne m'a pas satisfaite. Je recommence depuis hier à lire le "Study on Sciology" de Herbert Spencer que vous m'accusez de ne pas avoir assez bien compris. Quant à Voltaire, je crois bien avoir lu tout ce qu'il faut lire, avec beaucoup de plaisir, je vous assure. Comme lecture, ce qui me convient encore mieux que l'économie politique et la littérature, ce sont les nouvelles de mes amis, et je vous remercie de cœur de ne pas avoir oublié votre promesse. Je compte sur une nouvelle lettre de vous très prochainement et vous ne me désapprouverez pas, n'est-ce pas ? Veuillez ne parler de ma lettre à quasi personne car comme je dois beaucoup de réponses, j'aime autant ne pas soulever de jalousies et des mécontentements parmi mes correspondants.
Je vous serre bien cordialement la main.
Marie.

* portrait de Marie Kann par Léon Bonnat, 1882, Musée Bonnat, Batyonne
*Mallock ; William Hurrel (1849- ?) : sociologue, théologien, poète, critique anglais dont les œuvres ont marqué son temps – on voit que Marie Warchawsky lisait des ouvrages sérieux et se tenait au courant des nouveautés (
Is life worth living est de 1879) – on voit aussi que, comme Fanny Ephrussi, Marie W. est multilingue : le russe (langue maternelle), l’anglais puisqu’elle lit Mallock dans le texte, le français et si on en croit sa sœur Loulia (lettre 12) elle profitait de séjours sur la côte pour étudier l’Italien.

129. 9 janvier 1882, lundi, Cannes - papier bordure deuil - monogramme MARIE -

Cher Monsieur Deudon,
Vous êtes bien aimable de vous être souvenu de mon inintéressante existence et je vous remercie de ce souvenir et de votre lettre. Paris est grand, et peuplé et il n'est pas rare d'y rencontrer des gens oublieux et de nouveaux amis y remplacent souvent d'anciens surtout quand ceux-ci sont absents. Aussi tiens-je à rendre hommage à votre mémoire. C'est que c'est long cinq semaines, plus long encore quand on les passe à Cannes. Comme vous voyez, je n'ai pu vaincre mon antipathie pour le Midi et le ciel bleu m'irrite encore toujours. C'est que je le trouve niais, ce ciel bleu, on le dirait béatement satisfait et il n'y a vraiment pas de quoi. Depuis le temps qu'il regarde la Terre, il ne devrait plus être bleu.

Je me suis, suivant votre recommandation, abonnée à la Bibliothèque de la ville et j'y puise incessamment, ayant déjà dévoré tous les livres emportés de Paris. Je lis en moyenne 8-9 heures par jour et je compte, après ce régime, vous revenir (?) dans le grande cité des savants. J'en suis abrutie.*

Pas de nouvelles de l'ami Cernuschi ; je ne veux cependant pas croire qu'il soit passé à Cannes sans venir me serrer la main. Voilà qui serait ingrat, car l'affection que je lui ai vouée est bien sincère.
Ecrivez-moi encore, n'est-ce pas ? Vous me trouvez peut-être gourmande, mais tout est permis là où il y a amitié, de la vraie. Marie K.
Mon mari me charge de ses meilleures amitiés.

*portrait de Jacob Edouard Kann, époux de Marie, par Léon Bonnat (coll. particulière) – comporte une dédicace : à Madame Ed. Kann, son vieil ami, Ln Bonnat (voir section Art, lettre 7)
*Goncourt note (25 novembre 1885) que " les femmes juives de la société sont, à l’heure qu’il est, de grandes liseuses et elles seules lisent – et osent l’avouer – les jeunes talents honnis par l’Académie "- cette réflexion est probablement inspirée par Marie chez qui il est reçu deux mois plus tard et qui lui racontera par la suite (17 janvier 1894) qu’elle a lu à quatorze ans tous les livres de ses parents sans que ceux-ci exercent de censure.

130. le 1er janvier 1883, lundi, Cannes

Le 1er janvier 1883 depuis une heure ! !

Mon cher ami,
J'ai reçu l'année dernière (c'était jeudi, je crois), un bien joli livre avec votre carte et je me suis dit une fois de plus que vous étiez bien aimable et bien gentil. Je vous fais ici même part de cette impression, et je profite de cette occasion pour vous remercier de la jolie édition anglaise que je dois à votre souvenir. J'ai tout à l'heure causé de vous avec l'ami Cernuschi qui est venu ce matin de Nice déjeuner avec nous et que j'ai de force retenu pour le reste du jour. Nous avons ensemble enterré la vieille année et si nous n'avons pas accueilli la nouvelle de même, c'est que les trains sont impitoyables et ne retardent devant aucune considération. Nous nous sommes séparés en nous " la souhaitant bonne et heureuse " sans trop de foi, je le crains. Je vous laisse deviner lequel de nos deux scepticismes était le plus intense… Malgré l'heure un peu avancée, je causerai volontiers plus longuement avec vous si je n'avais pas des tas de lettres à écrire encore. Excusez la brièveté de celle-là et croyez cette année comme les précédentes à la très grande amitié de

Marie K.

131 sans date - [janvier 1883] - papier monogramme Villa des Dunes - Cannes

Cher Monsieur Deudon,
Sans reproches, je trouve que vous me négligez singulièrement, car voilà des siècles que je n'ai reçu d'autres nouvelles de vous que les journaux que vous avez l'amabilité de me "forwarder". Quant à une lettre, nenni, et je commence à vous trouver franchement insupportable. Je sais bien que les beaux événement politiques qui se déroulent sous vos yeux ravis doivent vous absorber, mais vrai, là, sans me faire de compliments, je suis tout de même plus gentille que Mr Floquet*, et je vaux bien la peine qu'on s'occupe de moi un brin aussi ! Elle est belle, votre Chambre des députés, je vous félicite, et me félicite, mais vous tout particulièrement comme bon citoyen, d'être gouverné par une pareille marmelade ! ont-ils assez peur ! Au moins, ils ont le courage de leur opinion (qui est : nous tremblons) et montrent assez à l'Europe enchantée de cette occasion de se :moquer d'eux, leur état d'extrême … anxiété… C'est drôle, mais bien tristement.

Je suis très heureuse de ne pas être en ce moment à votre portée, car je suis sûre que nous nous disputerions furieusement, et le gouvernement n'en vaut pas la peine. Mais je ne sais pourquoi, mais je suis très irritée contre vous et je ne suis pas loin de vous considérer comme le moteur de tout ce qui arrive. Voilà la conséquence de votre silence, Monsieur, et si vous continuez, vous en verrez bien d'autres !

Le temps est toujours variable. Le soleil n'apparaît que pour se cacher de nouveau, et aujourd'hui, il faisait un froid de Sibérie. Inutile de vous dire que je suis maussade, que je grinche, tousse et me chauffe au coin de ma cheminée tout le jour. Les journaux me mettent en fureur, je les trouve tous également bêtes, à quelque opinion qu'ils appartiennent et je ferais volontiers pendre tout le monde. Ecrivez-moi bientôt et ne me dites pas qu'ils ont raison de trembler, sinon je me brouille avec vous. En attendant, je vous serre cordialement la main.

Marie.

*la proposition Floquet sur la loi d'exil : 17 janvier 1883 - sur la véhémence de Marie Kann, voir lettre de sa mère 16.7.80 (151)

 

Les " sœurs Kann " dans le Journal des Goncourt.

Celles que Goncourt appelle improprement " les sœurs Kann " sont en réalité les sœurs Warchavsky, Marie (dont on vient de lire les lettres) épouse de Jacob Edouard Kann et Loulia, épouse d’ Albert Cahen d’Anvers.

Goncourt est manifestement fasciné par Marie qui était fascinante en beauté, en intelligence, en caractère , il la trouve jolie et distinguée, ce qui est un compliment inouï pour cet antisémite. Reçu chez les Kann le 7 décembre 1885, il fait une description flatteuse de l'hôtel, mais critique les bibelots et le paravent à 75 francs. Il fait une description saisissante de Marie, nonchalamment assise sur un canapé, au maquillage qui lui fait des yeux cernés. L’attirance qu’il éprouve pour elle est toute sensuelle : elle est très parlante à la curiosité amoureuse, cette femme, et cependant, si j’étais encore jeune, je ne voudrais d’elle que sa coquetterie, il me semblerait que je boirais sur ses lèvres un peu de mort. Elle a un charme à la fois mourant et ironique tout à fait singulier et auquel se mêle la séduction particulière des Russes : la perversité intellectuelle des yeux et le gazouillement ingénu de la voix.

Il n’y a par ailleurs pas un mot sur le mari. Il rencontrera Marie chez la princesse Mathilde, dont il la dit intime (19 mai 1892) et il n’est pas loin de reprocher à la princesse son goût pour les juives (Marie, Madame Strauss). De Loulia, il ne dit rien, sauf cette notation : à chaque fois qu’elle ouvre la bouche, [elle] est appelée la petite perfection (7 janvier 1882). Goncourt mentionne Marie Kann les 7 décembre1885, 6 et 21 septembre 1890, 12 et 17 juin 1891, 17 janvier 1894.


Généalogie de Marie et Loulia Warchavsky 

voir également les généalogies Kann et Cahen d’Anvers

1.Abraham WARCHAWSKY == Isabelle PORTUGALOFF 1820-1884

2.1 Rosalie Louise Loulia Poltava 1.12.1854 – Paris 15.3.1918

== Albert Cahen d'Anvers 1846-1903

2.2 Marie Russie 6.3.1861- Paris 18.11.1928

== Jacob Edouard Hirsch KANN 1857-1919

2.3 Marc +1922 == Lydia ABRAMOVNA

3. Sophie Alice Sonia 1876-1975 == Robert CAHEN d'ANVERS (desc.)

2.4 Léon + Paris 19.4.1929

2.5 Ignaz* 1857-1881

2.6 Alexandre /1884/ (établi en Russie ?)

*Ignaz est mort poitrinaire vers 1881 à Madère - peu avant de mourir, il se serait converti au catholicisme et aurait poussé sa sœur Marie à faire de même (source HKA)et, toujours d’après HKA, Marie aurait été assistée d’un prêtre au moment de sa mort.


Généalogie simplifiée des Kann

Jacob Hirsch Kann 1777-1846 == Jette Koppel 1780-1823

1.Edouard Jacob Hirsch 1801-1868 1==Régine Goldschmidt 1810-1834

2a.Isaac Sacki Hirsch 1830-1887 1==Henriette Biederman 1837-1865

3.1 Jacob Edouard Hirsch 1857-1919 == Marie Warchawsky

3.2 René Michel Reginald 1858-1936

3.3 Charlotte Marie Eveline1863-1889 == Théodore Reinach (desc.)

2b.Isaac Sacki Hirsch 1830-1887 2== Julie Thérèse Königswarter 1845-1917

5 enfants
dont Hélène Kann-Allatini, déportée (Auschwitz,1943)

1. Edouard Jacob Hirsch 1801-1868 2==Stéphanie Beer 1818-1889

2a. Maximilien Edouard 1842-1901 1== Betty Ephrussi 1852-1873

3. Fanny 1870-1917 == Théodore Reinach

2b. Maximilien Edouard 1842-1901 2== Saraline Königswarter (div.)

3. Marie Eugénie 1880-1917 == Gustave Goldet-Goldschnmidt

Cécile 1901-1987 == Paul Maximilien Reinach

Les Kann forment, au 19e s., une très importante famille de banquiers. Ils se sont d’abord appelés BING zur KANNE puis HIRSCH-KANN, incorporant le prénom Hirsch au nom de famille Kann - la rédaction des noms de famille n'a pas toujours été fixe et ceci est particulièrement vrai pour les Juifs qui n'ont eu de nom sous la fome occidentale qu'à partir du XVIIIe siècle. Les Kann sont donc KANN ou KANNE jusqu'à la fin du 18e siècle, HIRSCH-KANN ensuite à peu près jusqu'au milieu du 19e siècle, et de nouveau KANN après la premlère moitié du 19e s.. Les Kann qui ont été très nombreux à Paris et présents également dans l'Est de la France ne sont plus guère représentés que par quelques familles.

Recherches et établissement de ces généalogies : Michel Goldschmidt, avec son autorisation pour une reproduction partielle.


KRONENBERG L. et S., Mme B. de

Les Kronenberg ont été une famille opulente et influente au début de ce 19e s. Au moment où Charles Deudon reçoit ces lettres, le fondateur  Leopold1, à la fois financier, industriel, philanthrope, homme politique, etc. est mort, laissant 5 enfants adultes :

Leopold1 1812-1878 == Ernestyna Rozalia Leo 1826-1893
            Stanisław 1846-1894 == Elżbieta Półtoracka
                        Maria Anna == Marie Jean Philibert Marc Bourrée de Corberon
             Ladislas de Kronenberg 1848-1892 ==  Marguerite Chevreau 1856-1953  (desc)
            Leopold2 1849-1937 == Józefina Reszke 1845-1891
            Maria Róża 1854-1944 ==1 Karol Zamoyski 1834-1892
            Maria Róża 1854-1944 ==2 Gustaw Taube
            Róża 1857-1940 == Aleksander Orsetti 1847-1919  desc

C’est sur Wikipedia que l’on peut trouver le plus d’informations en français (http://fr.wikipedia.org/wiki/Leopold_Kronenberg) - les données ci-dessus proviennent du site roglo.eu.oglo,aimablement communiquées par un consultant du site


132. Varsovie, ce 20 janvier 1879 [lundi] - 18 rue de Masovie (Mazowiecka)

Cher ami,
Je reçois vos bonnes lignes du 11 ct en déplorant le fâcheux malentendu qui m'a fait déjeuner sans vous, d'autant plus que j'avais invité comme troisième à votre intention une fine fleur de notre pays, un garçon très intelligent et très spirituel. Je prends bonne note de votre conseil concernant les invitations sur carte de visite, mais permettez-moi de constater l'imbécillité pleine et entière de votre concierge, qui n'a pas prévenu votre domestique de mon autographe malgré la recommandation expresse que je lui en ai donnée. J'ai cru tout bonnement non pasque vous m'ayez oublié, mais que tout simplement plongé jusque vers midi dans les bras sculpturales (=) d'une beauté quelconque, vous ayez dédaigné mes huîtres en faveur de celle que vous aviez dans votre lit. Maintenant tout s'éclaircit à souhait et c'est à moi de m'excuser de vous avoir invité tellement à la hâte et sans avoir observé les délais plus ou moins usités en telle matière. A mon prochain voyage, j'espère ne plus vous manquer.
Mais à quelque chose malheur est bon ; ainsi, j'étrenne la bonne fortune de votre lettre avec des nouvelles de ma famille qui me font grand plaisir et pour lesquelles je vous suis on ne peu plus reconnaissant. Mon frère Léopold m'afflige par ses goûts que vous dévoilez dans votre lettre, mais je crois qu'il lui fallait un peu de repos pour se remettre ; il faut des petites mais pas trop n'en faut. Quant à moi, je vis en véritable ermite, fourré jusqu'aux oreilles dans de la besogne, de la vraie. Que voulez-vous, cela m'occupe et me remplit l'existence. Nos finances tendent à se relever cependant, notre industrie se développe avec une très grande vigueur, notre malheur, c'est que l'étranger a perdu confiance, cela pèse sur nos marchés.
Mille saluts bien affectueux, cher ami. Votre tout dévoué.
S. Kronenberg

* le palais Kronenberg était sorti de la guerre dans un état qui aurait permis une restauration mais les autorités communistes ont jugé plus opportun de le  détruire entre 1950 et 1960 - d’après les sites consultés, l’adresse du palais était bien le 18 rue Mazowiecka

133. sans date - [1879*] - lundi matin


Cher Monsieur Deudon
C'est avec grand plaisir que j'accepte votre charmante invitation pour déjeuner demain mardi. Je serai charmé de vous voir et de féliciter M. Dumarest de son avènement au trône du royaume des truffes, car je crois que c'est de Périgueux la capitale de la Dordogne.
tout à vous.

L. Kronenberg

* Paul Louis Dumarest a été en poste à la Préfecture de la Dordogne pour une courte période au début de l'année 1879, ce qui date cette lettre (renseignement Préfecture de la Dordogne) - elle suit ou précède sans doute de peu la lettre de son frère, Stanislas.



134. sans date - jeudi - papier uni - bordure deuil

Monsieur,
Nous regrettons infiniment d'avoir manqué votre visite. Notre départ étant proche, je vous prie, Monsieur, de nous faire le grand plaisir de dîner chez nous ce samedi à 7 heures en petit comité. J'espère que vous voudrez bien acquiescer à ma proposition.
En attendant, recevez, Monsieur, l'expression de ma parfaite considération.
B. de Kronenberg.


LAFERRIERE Edouard 1841-1901

né à Angoulême, mort à Paris - membre du Conseil d'Etat où son rôle est jugé comme décisif, c'est le grand homme du C.E. (renseignements Conseil d'Etat)


135. sans date - mercredi matin

Mon cher ami,
Je viens d'être informé que le dîner Brisson, pour lequel je m'étais engagé aujourd'hui, est remis à huitaine. S'il est temps encore que je profite de l'aimable invitation que j'avais eu le regret de ne pouvoir cumuler avec cet engagement, j'en serai très heureux mais je connais le proverbe : " tarde venientibus… ".
Dites-moi donc franchement si mon couvert peut être encore mis où (=) si je devrais trop serrer vos convives pour me glisser décemment parmi eux.Amitiés cordiales.
Ed. Laferrière
Quid du costume en cas de solution favorable ?


136. sans date - papier à en-tête Conseil d'Etat Paris le,188.

Mon cher ami,
Je vous ai beaucoup regretté et regrettés, mais soyez sans remords car je ne vous en ai pas voulu un instant, sachant quels contretemps peuvent survenir en pareil cas. Après avoir constaté que le train était vide, j'ai filé avec mon poulet solitaire et je suis allé, poussé par une brise vigoureuse, m'entretenir avec lui à l'ombre des saules. J'ai trouvé votre télégramme au retour, et le mot de lâcheur a expiré sur mes lèvres attendries. Ce sera pour une autre fois, l'expédition en vaut la peine pour les amants de la belle nature et même pour les autres.
A vous bien cordialement.
Ed. Laferrière.



LAVAUR Laure de

Madame de Lavaur n'est pas identifiée, et c'est sans doute tant mieux pour elle.

 

137. 18 mars 1880, [jeudi], Montauban

Monsieur,
J'ai appris d'une façon tout à fait incidentelle la mort de notre bien cher E. Gervais*. Si mes souvenirs sont exacts, vous étiez un de ses amis préférés, et je crois être sûre que vous n'ignorez point les liens qui unissaient nos âmes depuis de bien longues années ; c'est ce qui fait qu'aujourd'hui je m'adresse à vous pour avoir quelques détails sur les derniers temps de cette existence si chère.

Je dois vous dire que j'ai tout d'abord écrit à Mr Gervais, ma préoccupation à propos d'un volume de correspondance a été le motif que j'alléguais (=) ; mais, en réalité, dévoré (=) du désir de savoir quelque chose de lui, je voulais provoquer une expansion que mon cœur débordant de douleur devait amener ; mais j'ai été trompé (=) dans mon espérance ; ma lettre a été donné (=) à un parent et ami, qui a été chargé de me répondre, voilà pourquoi je n'ai eu que des phrases très polies et de convenance.

Depuis longtemps, pour ne pas fatiguer ce pauvre ami, dont je suivais avec angoisse les défaillances progressives, ma correspondance s'était bien amoindrie et les dernières nouvelles reçues sont du commencement de l'année ; que s'est-il passé depuis ? Ce n'est pas seulement un ami que je perds, mais un protecteur le plus assidu à m'entourer de tout ce que renferme sa tête (?) ; son oubli absolu dans ces derniers temps, me fait supposer que cette belle intelligence est tombée avant qu'il nous soit ravi.

Depuis des années, les circonstances nous avaient séparés ; mais j'ai su combien cette organisation était affreusement ravagé (=) ; oh! les folies de l'imagination avaient brisé avant le temps ce pauvre corps ; mais que le cœur était resté fort ! et quels sentiments exquis dans cette âme si noble ! … aussi malgré tant d'erreurs hélas bien cruellement expiés (=), je ne doute pas qu'il ne soit endormi dans le Seigneur ; et c'est là que ma pensée va toujours le chercher, espérant amoindrir l'amertume de mes regrets.

Veuillez excuser, Monsieur, la tristesse de cette lettre ; je suis sous des influences si douloureuses que ma plume ne sait que les traduire…Il serait possible que des souvenirs déjà bien lointains, ou une similitude de nom me fasse commettre une erreur en vous adressant cette lettre ; dans ce cas, je vous prie de la considérer comme non avenue, et du contraire (=), si vous êtes bien celui qui fut son ami, soyez assez bon pour me répondre et veuillez bien accepter mes sentiments les plus sympathiques en mémoire de notre cher disparu.
Laure de Lavaur.
26 rue Lagarrigue, Montauban.

*Ernest Alexis Ambroise Gervais, avocat, était lié avec Charles Deudon depuis plus de 20 ans lorsque Mme de Lavaur écrit cette lettre : il signe un acte de notoriété concernant Emma Sheldon en 1862 - il a publié une Histoire des croisades de Saint Louis (Michel Lévy, 1860) qui ne lui a pas conféré la notoriété


138. 24 mars 1881, [jeudi], Montauban

Monsieur,
Veuillez m'excuser si je viens encore vous occuper de moi. C'est bien à regret, je vous l'assure et la discrétion seule m'a empêchée en avril dernier de vous remercier des détails que vous voulûtes bien me donner sur les derniers moments de notre si cher ami. Un incident personnel, conséquence de ce douloureux événement fait que je viens encore aujourd'hui m'adresser à vous.

Je crois que vous étiez assez dans le secret de mes relations avec Ernest G[ervais]. pour n'en rien ignorer, mais tout cela est déjà si loin ! Permettez-moi donc de vous rappeler que pendant bien des années j'ai habité Paris uniquement pour lui et que par suite de cette irrégularité dans mon ménage, je me trouvais dans une situation pécuniaire des plus restreinte ; ce pauvre ami ne l'ignorait point et alors il ne pouvait guère m'aider ; mais quand la fortune lui est venue, par suite de la mort de son g[ran]d père, et que moi, je me suis trouvée ruinée par les mauvaises spéculations de mon mari, sa générosité ne m'a pas fait défaut, je recevais de lui deux mille francs par année ; je puis en donner la preuve la plus évidente et la plus authentique ; ce n'est donc pas seulement mon cœur qui a été atteint d'une blessure inguérissable, mais j'ai reçu aussi matériellement le coup le plus fatal.

Mais, Monsieur, une chose des plus incompréhensibles et que j'ai mis un an à me persuader, est que celui qui m'entourait de tant de sollicitude, qui par exemple, à l'époque de la guerre, a fait des prodiges pour que je n'eus pas à souffrir des communications interrompues, n'ait pas prévu le cas où il quitterait ce monde avant moi, c'est un fait inouï, d'autant plus que cette question avait été agitée par lui à notre dernière entrevue, mais très vaguement car j'éloignais toujours ce sujet délicat et pénible, mais je crois qu'il s'agissait d'un dépôt à faire à mon intention entre les mains d'un tiers, je crois même me rappeler qu'il était question d'un personnage d'origine étrangère, d'un polonais*, je crois, mais tout cela est si indécis dans mon esprit que je ne saurais rien affirmer.

Enfin, la conclusion vraie, c'est que je n'ai rien à attendre, et dans cette situation désespérée, je suis décidée à essayer d'une démarche auprès de Mr G[ervais]., le priant de vouloir bien continuer un peu la bonne œuvre de son fils. Je vous avoue que je ne fonde pas de grandes espérances sur ma tentative ; on peut être le plus honnête homme du monde, ce qui est certainement le cas de Mr. G[ervais]., et on peut malgré cela ne pas avoir ce feu sacré qui donne l'essor à la générosité ; je sai (=) qu'à sa place, avec sa grande situation de fortune, je n'hésiterais pas un seul instant ; mais s'il le veut, il a des motifs pour se dérober à ma demande, prétextant les mystères d'une position assez compliquée, et dire par exemple qu'il ne me connaît pas, mais je lui offre la preuve évidente que j'étais l'ami (=) de son fils, puisqu'il m'aidait si généreusement, et puis ma parenté avec un homme qu'il a beaucoup connu, le V[icom]te de Vezins, établit avantageusement ma personnalité.

Mais, Monsieur, voici déjà bien des lignes et je n'ai pas encore dit ce que j'aurais peut-être dû dire tout d'abord et qui est le point important qui peut mettre à néant tous mes projets ; c'était d'ailleurs le but principal de ma lettre : je n'ignore pas que Mr. G[ervais]. est très âgé et il pourrait bien se faire que le malheur qui l'a frappé l'année dernière eut été fatal pour son esprit et même pour sa vie ; vous comprendrez, Mr (=), que je désirerais être renseignée pour ne pas envoyer au hazard (=) une lettre d'expression et de sens très délicat.

Je trouve dans la lettre que vous eûtes la bonté de m'adresser, une phrase d'après laquelle vous paraissez croire que j'ai été en correspondance avec M. Lolliot ; il n'en est rien ; j'ai écrit une seule fois à Mr Gervais, un mois après le fatal événement ; je lui disais même que son fils me venait en aide, mais toute à ma douleur, le côté matériel fut plus que vague ; ce fut M. Lolliot qui répondit à cette lettre ; voilà à quoi s'est bornée ma correspondance ; malgré cette lettre qui m'autoriserait presque aujourd'hui à avoir recours à M. Lolliot, pour lui demander de m'aider de son intervention auprès de Mr Gervais, j'avoue que j'hésite… rien de décourageant comme d'agir avec l'inconnu : voudrez-vous bien m'aider d'un conseil ? les tristesses de l'anniversaire, en ravivant une douleur sans doute bien mal éteinte, me rendrait (=) peut-être le moment favorable.

Me permettez-vous, dans le cas où il y aurait lieu de donner suite à mon projet, de vous adresser la copie de la lettre que j'enverrai à Mr Gervais ; et si vous avez conservé avec lui des relations assez intimes, voudriez-vous bien le voir, comme par hazard à l'époque où il recevra ma lettre ? peut-être vous en parlera-t-il et vous savez que quelque fois, on fait par amour-propre une bonne action qu'on ne ferait pas si elle devait rester ignorée.

Mille excuses, Monsieur, pour cette longue lettre, je suis vraiment confuse en en voyant le volume, et il faut bien que je m'autorise du souvenir de notre pauvre ami pour oser vous l'adresser. Mille excuses encore, avec l'offre de tous mes meilleurs sentiments que je vous prie de vouloir bien accepter.
L. de Lavaur
26 rue Lagarrigue, Montauban.

*un intermédiaire polonais : le comte Zamoyski (lettre 156)


LAUNAY-BOISCHEVALIER Madame de

correspondante non identifiée

 

139. sans date - papier bleu - monogramme Marie avec couronne

Cher Monsieur
Je tiens à venir vous remercier moi-même au nom des pauvres, de votre généreuse offrande et au mien de la gracieuseté qui vous a inspiré de me faire l'interprète de votre charité.
Veuillez, Monsieur, recevoir avec l'expression de ma profonde gratitude, celle de mes sentiments les plus distingués.
M. de Launay-Boischevalier.


LECARRIER, Alphonse

Correspondant non identifié, d'ailleurs la lecture du nom est douteuse - "immortel" semble se référer à un échec à l'Académie française - rien ne permet non plus de dater la lettre

 

140. sans date, - [Paris]

Mon cher Deudon,
C'est parce que je ne suis pas immortel que je trouve si peu de temps pour voir tous mes amis et des meilleurs. La vie est si <rapide ?>, à mon âge surtout, que les heures passent sans nous laisser maîtres de nous-mêmes. J'accepte avec bonheur votre proposition, mais pourquoi le Cercle* qui n'est jamais qu'une place publique et pour le mauvais dîner que l'on sert régulièrement à celui-ci ?
Voulez-vous venir déjeuner chez moi, rue St Lazare 28, Lundi à onze heures ? Vous n'y déjeunerez peut-être pas bien, mais nous y serons chez nous.
A vous, bien bon ami, qui avez vécu les mêmes affections que moi.
Alph. Lecarrier

* le Cercle : Charles Deudon était membre du Cercle de la rue Royale.


TIERNEY

Correspondant non identifié et le nom est d’une lecture douteuse : Tierney, Tunney ?

148. 12 août 1888 [dimanche], Dublin

Mon cher ami,
L'incident de Liverpool devrait vous engager à écrire pour l'un des journaux de Paris le récit de votre voyage. Il vous servira de bouquet pour le feu d'artifice qu'avec votre esprit vous ne manquerez pas de tirer de cette relation. Je vous autorise à y faire toutes les allusions que vous croirez amusantes à ma petite individualité, mais sans me nommer, surtout s'il y est question de mes pilules antibilieuses.

Après vous avoir écrit cette lettre, je compte aller au Phenix Park faire une visite à M. Balfour qui est arrivé à Dublin avant-hier soir et qui en repart demain. Notre entrevue sera intéressante, au lendemain de mon voyage dans l'intérieur de l'Irlande… si toutefois elle a lieu. Je vois par le Freeman qu'il a été placé à son arrivée à Holyhead sous la protection de 6 ou 8 détectives. Peut-être ces Messieurs me fermeront-ils la route. Si, non contents de le faire, Ils m'arrêtent et me tiennent prisonnier jusqu'au moment où j'aurai pu exciper de ma qualité, je ne manquerai pas de vous en informer, car ce détail pourrait servir d'épilogue à votre article "Variétés".

Le seul point qui m'inquiète, relativement à votre récit, c'est celui qui aura trait à l'état de siège des 4/5 de l'Irlande. Le contraste de Belfast et de toutes les autres régions que nous avons parcourues ne vous a-t-il pas frappé ? Je ne puis expliquer que par votre mauvaise vue et la couleur sombre des uniformes de la constabulary, la divergence d'opinion qui s'est manifestée entre vous et moi à ce sujet.

Je demande mon congé demain. Si je l'obtiens, comme c'est probable, je serai à Paris le 2 ou le 3 septembre. J'aurai grand plaisir de pouvoir serrer la main, à cette occasion, de l'un des plus aimables compagnons de voyage qu'il m'ait été donné de rencontrer. Votre bien dévoué,
Tierney (?)

Après la grande famine (1846), l'Irlande a entamé le processus de libération et de recherche de son autonomie qui conduira à l'indépendance en 1916 et cela induit une séries de troubles, de prises de pouvoir et de position de la part des hommes d'Etat anglais. Balfour menait l'aile dure et soutenait la politique coercitive de la Grande Bretagne.


VIEL CASTEL Edouard Honoré de Salviac, comte de, 1838-1882

Edouard de Viel Castel est le fils de Horace de V.C. l'auteur de Mémoires sur le règne de Napoléon III (collection Bouquins-Laffont) - il fait une carrière diplomatique, successivement en poste à Weimar, Karlsruhe, rédacteur au Ministère des Affaires étrangères et enfin secrétaire d'ambassade hors-classe à StPetersbourg (lettre 150), chevalier de la L.H. et de l'ordre de Léopold (Belgique) - marié en 1871 à Marie Caffin de Mérouville (lettre 149), il a trois enfants, tous avec descendance - la famillle est originaire du Quercy, de noblesse ancienne (antérieure au 13e s.) : un Viel Castel rend hommage à son suzerain en 1259, ce qui signifie que la famille était noble bien avant cette date.
Je dois ces renseignements et la reproduction du portrait à l'aimable obligeance de Gilles de Viel Castel, arrière-petit-fils d'Edouard de Viel Castel.

149. 17 mars 1871 [vendredi], Londres - 4 Benett St. - St James Sq.

Mon très cher ami
Je me marie et j'épouse une perfection. Tu ris, j'en suis sûr, et tu me crois fou. Je ne crains pas ton jugement, quoique ta sévérité de critique me soit bien connue, mais je te défie de trouver un défaut à l'ange qui veut bien de moi. Mais je m'aperçois que je ne t'ai pas encore dit le nom de ma femme. J'épouse Mademoiselle Caffin de Mérouville. Tu m'en as sans doute entendu parler avec admiration. J'avais toujours cru qu'elle seule pouvait faire mon bonheur et je ne la connaissais pas comme je la connais aujourd'hui. Elle a tout ce que je demandais dans une femme sans oser l'espérer. Spirituelle sans méchanceté, instruite sans pédantisme, précise sans exagération, causante sans bavardages, belle sans coquetterie et d'une beauté souveraine qui impose le respect, enfin, c'est une merveille, et pour qu'à toi, le critique des critiques, je parle ainsi, il faut que je sois bien sûr que tu m'approuveras. Que te dirai-je encore ? Elle m'aime très sincèrement et c'est un sentiment bien doux d'être aimé ainsi. Comme tu est (=) très indiscret, tu me demanderas comment j'ai rompu avec Constance. Admirablement bien. Elle s'est montrée pleine de cœur et de raison et j'aurai toujours pour elle l'estime qu'elle mérite.
Marie-toi, mon cher ami, tache de trouver non pas aussi bien que moi, c'est impossible, mais enfin une demi-merveille et crois que, marié ou non, tu n'as pas de meilleur ami que moi.
Viel Castel.
Vu tes amis de Belleville et l'état sanitaire de Paris, c'est ici que je me marie aussitôt après Pâques. La bonne chance t'amènerait-elle enfin sur ces rives ?


150. 7 avril [1878] - Saint-Petersbourg

Cher ami,
Je suis aujourd'hui bien remis et je tiens à venir causer avec toi. Car c'est un de mes meilleurs moments quand je puis le faire rue de Tencin ou rue de Ponthieu*, ce sera un des plus agréable à St Petersbourg. Je t'assure que de loin, on apprécie peut-être mieux encore que de près, la valeur des anciennes affections. Que de fois, en causant ici avec des gens très aimables sans doute, mais avec lesquels je n'aurai jamais que des rapports passagers, je pense à toi, à Bérard* (?), à Pillet-Will, à tous ces vrais amis que j'aime d'une si tendre affection.

Mais assez de sentiment, car j'ai la larme facile et elle pourrait venir, si je n'y prenais pas garde. Que te dirais-je donc d'ici ? Que la ville a de beaux monuments, tu n'as qu'à consulter Murray* pour le savoir ; que la Neva est encore gelée, tu ries en pensant que je pourrais être si tranquille rue de Ponthieu* et que je suis assez fou pour rester en face d'une rivière qui ne sait même pas dégeleren avril. Te parlerai-je de la guerre ? Je crois qu'ici on n'en a guère envie et si tes propres compatriotes, les Anglais, se contentaient d'un demi succès, je crois qu'ils l'obtiendraient. On est las ici de combattre, fort ennuyé de n'avoir plus que du papier et de ne plus connaître l'argent que de [réputation ?] et en dépit du [fanatisme émotionnel?] dont il est tant parlé, je crois qu'une vraie guerre serait vivement acclamée. Voilà bien de la politique, cher ami, et tu dois me trouver bien embêtant. Pardonne-moi en pensant qu'à force de faire ce métier, on oublie tous les autres. Ce que je n'oublierai jamais, c'est l'affection très profonde que je t'ai vouée et que tu me rends j'en suis certain.
Viel Castel.
Amitiés sincères à [illisible], à Pillet-Will ainsi qu'à [illisible].

*rue de Ponthieu ; Edouard de V.C habitait 44 rue de Ponthieu depuis son mariage
*Bérard : la lecture n'est pas certaine - on lit à peu près correctement
érard mais la première lettre ne ressemble à rien - d'un côté, on sait le scripteur sortait d'un accident de santé, et son écriture peut avoir été altérée, d'un autre côté il était lié avec Bérard qu'il cite dans son testament (avec Charles Deudon) ce qui justifie la lecture "Bérard"
*Murray : les guides Murray étaient une collection de guide (un peu comme les Baedeker), édités en Angleterre, mais je n' ai pas pu trouver s'il existait un "Murray" de St Petersbourg ou de la Russie

 

 


WARCHAWSKI Isabelle, née PORTUGALOFF 1821-1884

Mère de Marie Warchawsky-Kann et de Loulia Warchawsky-Cahen d'Anvers

 

151. 13 août 1880, vendredi - Maison Sourdis, Port-Marly, Seine-et-Oise - papier gris uni

Cher Monsieur,
Vous êtes on ne peut plus aimable d'avoir pensé à nous et de nous avoir donné de vos nouvelles. C'est d'un bon ami de se souvenir des absents au milieu d'un voyage* aussi attrayant que celui que vous faites. Vous me semblez tant soit peu gelé dans vos hauteurs et je m'en étonne pas car nous autres, dans notre pays de plaine par excellence, ne sommes guère plus favorisés par le temps. Il est d'une variabilité toute ….. féminine ! et je ne me ressens que trop de ces conditions climatiques détestables. J'ai de très fortes douleurs et enrage de souffrir et de ne pouvoir faire de la vie de campagne comme je le voudrais. Je suis tout à fait contente de notre installation qui est très confortable ; mon unique regret c'est de ne pas avoir une fraction plus considérable de ma famille autour de moi; Elle n'est représentée pour le moment que par ma fille Marie qui a renoncé à Gérardmer* pour rester auprès de moi. Vous me demandez des détails sur le mariage d'Hélène*. Je ne puis, à mon regret vous en donner de directes, n'ayant pu y assister. Mes filles m'ont dit que tout s'était fort bien passé, la beauté de la décoration, l'élégance du cortège, la joie du jeune couple, la satisfaction des parents, tout a été en harmonie. Ma fille a été demoiselle d'honneur mais n'a pas quêté, je suis ravie qu'elle ait manqué cette occasion de se montrer désagréable et impérieuse. Nous avons eu aujourd'hui même des nouvelles de notre bon ami Cernuschi. Il a écrit de Stockholm qu'il quitte ces jours-ci pour se rendre à Christiania, dernière limite de son voyage dans ces régions hyperboréennes. J'espère qu'il ne tardera pas à revenir dans nos parages, il y fait, à mon avis, très suffisamment froid.
Il me semble que j'ai épuisé ma petite provision de nouvelles "à la main". C'est bien vite fait, grâce à notre isolement. Les Cahen sont dans leurs Vosges et doivent s'y amuser considérablement à en juger par la rareté de leurs épîtres. Ma fille me charge pour vous de ses meilleurs souvenirs et je vous serre très cordialement la main.
Isabelle Warchawsky.

* Deudon est à StMoritz, Hôtel Victoria, où il rencontrera les Kann (lettre 48), dont l'un deviendra le gendre d'Isabelle Warchawsky-Portugaloff en épousant Marie.
*Gérardmer : chez sa sœur Loulia Cahen d'Anvers
*le mariage d’Hélène : Hélène Montefiore – voir lettres 45, 108 et 151


152. 7 janvier [1882 ci] - carte de visite - 130 rue La Boètie

Madame Warchawsky…. prie Monsieur Deudon de lui faire le plaisir de venir dîner chez elle jeudi 12 janvier [1882]


153. 4 décembre 1882 [cp, lundi]-carte de visite - 130 rue La Boètie

Cher Monsieur Deudon,
J'apprends à l'instant à qui je suis redevable de la bien agréable surprise que j'ai éprouvée hier. Je n'en suis pas trop étonnée car je connais de longue date l'excessive amabilité de Monsieur Deudon, ce qui ne m'empêche pas d'en être très vivement touchée. Recevez donc tous mes remerciements ainsi que l'expression de mes sentiments affectueux.

 

154. sans date (janvier 1881 ?) - carte de visite - 130 rue La Boëtie

Cher Monsieur Deudon,
Vous êtes vraiment trop aimable et malgré tout mon courroux, je suis bien obligée d'avouer que j'ai été très sincèrement touchée de cette nouvelle marque de votre très grande amabilité à mon égard. Merci donc de tout cœur, mais plus de folies ou nous nous fâcherons. Merci également de vos vœux qui m'ont porté bonheur, ma journée a été bien plus calme.


ZAMOYSKI Charles, comte 1834-1892

Les Zamoyski, famille noble originaire de Zamosc en Pologne, comptent un homme d'état et humaniste, Jean Zamoyski 1541-1605, plusieurs écrivains, hommes politiques, etc. . Les lettres nous apprennent que Charles (Karol) était cousin des Krasinski, autre famille noble de Pologne qui compte plusieurs illustrations. Il était également, semble-t-il, homme d'affaire de Charles Deudon. Dans des lettres datées de 1862 et qui n'ont pas été conservées dans le choix fait ici, Charles Zamoyski est cité à 4 reprises ; la correspondante est une demoiselle liée à Charles Deudon par une vive affection. Or, Zamoyski, qui était l'ami intime de Charles Deudon, vient la voir très souvent, est particulièrement aimable avec elle, il s'empresse également auprès d'une de ses amies et enfin lui prête (?) de l'argent, ce qui mettra Charles Deudon en fureur.

 

156. Menton, le 8 mars [1871, mercredi]

Mon cher ami,
Je me félicite de ne pas avoir chargé Duval de vos bibelots, depuis les mauvaises nouvelles qui nous arrivent de Paris. L'on prétend que la population est très surexcitée et que le Gouvernement, en quittant Bordeaux, penserait sérieusement à transférer son siège, soit à Fontainebleau, soit à Versailles, pour se mettre à l'abri d'un coup de main en cas d'émeute.Je vous envoie en même temps plusieurs exemplaires d'une brochure de mon cousin Krasinski avec prière de bien vouloir la distribuer aux personnes qu'elle pourrait intéresser. Dans la crise que nous traversons, l'idée que l'auteur émet me paraît ingénieuse, en tous cas nouvelle, le mode de paiement des 500 milliards pourrait par ce moyen s'effectuer sans ébranler le crédit de la France. Mon cousin a déjà envoyé pas mal d'exemplaires de sa brochure à différentes personnes, entre autres à M. Thiers. Quand vous en aurez pris connaissance ainsi que vos amis, les Ferry, E. Picard, etc., vous seriez bien aimable de me faire savoir ce que vous en pensez. Une opinion favorable ou du moins indulgente serait bien vue.

Mes affaires marchent un peu mieux, la jeune personne* cherche parfois à me dire un mot aimable sans toutefois me donner le moindre encouragement. J'attribue ma première impression à sa timidité et peut-être à un sentiment de fiereté(=) que les jeunes filles éprouvent quelques fois en pareil cas. Surtout n'allez pas croire que je compte en aucune façon sur la réalisation de mes projets, seulement, il me semble que sans me faire illusion, je puis avoir de faibles espérances, ce qui n'est pas beaucoup dire. Si les choses se passent selon mon désir, je resterai ici jusqu'au 15 avril, époque à laquelle la jeune personne quittera Menton avec sa famille.

Dîtes moi si vous restez encore à Paris ? Comme il est bien possible que je pourrai vous faire passer vos papiers par une bonne occasion qui ne manquera pas de se présenter. J'ai été alité pendant 4 jours, mais cette fois, c'était un abcès. Il paraît que des abcès ne reviennent pas comme les clous, ainsi j'espère en être débarrassé. Mais pour en revenir à ma grande préoccupation, je vous avoue que si l'on me donne mon congé, ainsi que j'ai tout lieu de le croire, je crois que je serai guéri de toute idée matrimoniale. Ma position est ridicule et stupide, pour la bonne raison que j'aurais dû m'assurer des sentiments de la demoiselle avant de faire aucune démarche. Faire ma demande aujourd'hui serait montrer clairement que je veux être refusé car la demoiselle n'a pas eu l'occasion de me connaître, d'un autre côté rester ici encore un grand mois avec presque pas de chances d'être agréé est une perspective peu attrayante.

Je vous demande pardon, cher ami, de vous entretenir aussi longuement de mes préoccupations personnelles, mais je compte sur votre amitié pour me donner un bon conseil à l'occasion. Je voudrais aussi vous demander de bien vouloir payer le loyer de mon appartement pour les trois termes dont je suis redevable, mais avant de vous envoyer l'argent nécessaire pour ce paiement et d'autres que je vous prierai d'effectuer pour mon compte, j'attendrai une lettre de vous pour savoir si vous êtes encore à Paris et si je puis donner l'ordre à mon banquier de Londres de vous expédier une lettre de change sur Paris, avec la certitude qu'elle vous y trouve. J'ai vu hier dans un journal que Mires est resté en Suisse, ainsi il est fort probable que les deux ou trois chambres qui sont sur mon palier et qui servaient de bureaux au propriétaire seront à louer. Vous comprenez que si je devais me marier, ces chambres me seraient nécessaires pour y loger les gens, sur tout une femme de chambre. J'avais la promesse de Mires qu'on me donnerait la préférence dans le cas où ces chambres seraient à louer ainsi que les écuries et remises. Vous pourriez dire à François de prendre des renseignements sur le sujet auprès du concierge et qu'il lui demande de ne pas les louer sans me prévenir. Je préférerait (=) ne pas m'engager avant le 15 avril, époque à laquelle je saurai à quoi m'en tenir sur mes projets*.. Je vous serre la main et vous prie de me rappeler au souvenir des amis. Votre tout dévoué.
Charles Z.
Mille choses de la part de ma sœur.

* la jeune personne : Marie Kronenberg, future comtesse Zamoyska, elle a 20 ans de moins que Charles Zamoyski ce qui peut expliquer une certaine prise de distance mais ils finiront par se marier (voir lettres Kronenberg) et il y a en outre dans la correspondance un faire-part du décès de leur fille Rose Pélagie, le 24 mai 1882 à St Germain en Laye, ce faire-part m’a permis d’avoir l’acte de décès de l’enfant et l’acte m’a confirmé le nom de la mère, Marie de Kronenberg – Charles Deudon connaissait les Kronenberg comme il connaissait Charles Zamoyski et je ne peux m’empêcher d’imaginer qu’il a été pour quelque chose dans ce mariage célébré à Paris le 15 janvier 1874 – Charles (Karol) et sa femme apparaissent dans la généalogie Zamoyski : http://pages.prodigy.net/ptheroff/gotha/zamoyski.html

 

157. Aix-les-Bains, ce 26 mai [1871, vendredi]

Mon cher Charles,
Je vous remercie de votre lettre amicale et je commence vraiment à croire que vous n'avez pas tout à fait tort dans l'appréciation d'un désespoir que j'ai eu à la suite de ma mésaventure. Aujourd'hui que je suis plus calme, je crains bien qu'un sentiment d'amour-propre dont je ne m'étais pas rendu compte au premier abord, y était pour quelque chose dans le chagrin que j'éprouvais. Néanmoins je ne veux pas passer pour plus fort que je ne suis et je vous avoue sincèrement que je n'en suis pas du tout guéri. L'idée que j'ai manqué mon bonheur par une série de maladresses inconcevables, pour un homme de mon âge et de mon expérience*, m'exaspère. Car j'ai eu le temps de dire et d'en faire des bêtises pendant les trois mois que je fesais ma cour. En ce moment, le chagrin et la déception ont fait place à un sentiment de tristesse et peut-être une vague espérance, de revenir à la charge à la première occasion qui ne manquera pas de se présenter, d'autant plus que je suis décidé à la chercher. Je vous prie, cher ami, de ne pas faire part à qui que ce soit de ce projet, auquel je réfléchirai encore avant de le mettre à exécution.

Boissieu m'a écrit pour me dire que sa femme est au moment d'accoucher, et par conséquent, il lui était impossible de venir me rejoindre à Aix. Il m'invite à aller passer quelques jours chez lui, ce que j'ai l'intention de faire en quittant Aix.. De Dijon, j'irai à Paris où j'espère vous retrouver d'après les dépêches d'hier soir, la prise de Paris par l'armée de Versailles est en fait accomplie, mais quels scélérats que ces misérables !! qui ont voulu brûler la ville en prenant la fuite. Ce qu'il y a de plus triste, c'est que tous ces désastres ne serviront à rien, si ce n'est à réimplanter le régime militaire comme autrefois, sous prétexte de préserver le pays du retour de nouveaux malheurs. Personnellement, j'attends avec impatience des nouvelles de chez moi, car Dieu sait ce qui a pu arriver dans le quartier du nouvel Opera et aux environs de la place Vendôme, où la lutte a dû être acharnée.

Je quitterai Aix la semaine prochaine, mais je vous prie de me tenir au courant de vos projets et de m'écrire encore ici, s.v.p. Faudra-t-il rapporter vos valeurs ? Sur ce, je vous serre les mains affectueusement.
Votre tout dévoué, Charles Z.
P.S. Bien des choses à Eugène* de ma part et veuillez remercier Monsieur Delacour de son bon souvenir. Une caresse pour le vieux Tom.

*mon âge : Charles Zamoyski, 1834-1892, a 37 ans quand il écrit ces lignes
*Eugène : Eugène Deudon, cousin germain de Charles

 

158. Paris 27 mars 1881, [dimanche].

Mon cher Deudon,
Je trouve votre lettre à mon retour de Fontainebleau et je vous remercie de m'avoir communiqué la lettre de Madame L.* que je m'empresse de vous renvoyer ici. Je serais très désireux de m'entretenir avec vous de Mme L. et de savoir si c'est bien la personne dont ce pauvre Ernest [Gervais] m'avait parlé en 1871 ou 70. Dans tous les cas, je ne ferai rien sans m'entendre avec Gibert et je ne voudrais sous aucun prétexte me mettre en relation avec elle. Mille amitiés et bien à vous .

Ch. Zamoyski

* Mme L. : Laure de Lavaur - voir lettres 137 et 138