LE MONDE DE L’ART
Index des noms cités dans les lettres (n° de la lettre)
BERARD 19 R5 - BERNSTEIN 19 -BONNAT 19 – BOURGET - CAHEN [d’ANVERS] 2 19 – CERNUSCHI 1 2 5 10 11 – CHARPENTIER 11- Madame CLAPISSON 5 – DICKINS 11 - DREYFUS 20 21 25 - DUMAREST10 - DURET 5 11 20 21 25 – EARLE – Anna EPHRUSSI 20 - Charles EPHRUSSI 1 2 5 R1 – Emilie (PORGÈS)-EPHRUSSI 20 - Ignace EPHRUSSI 1 3 – Victor EPHRUSSI 20 - ERDAN 29 - GLADSTONE 19 – HACHIVA 20 – HIRSCH 29 - KAEMPFEN 20 - LAFERRIÈRE 20 – LEENHOF 30 - MANET 5 30 - MONET 147 – PILLET-WILL 5 19 – PISSARO 29 – PORGES 21 - RENOIR 3 5 – SANDERS 21 - WHISTLER 30
Amateur d'art, de peinture impressionniste et en particulier de Renoir - portrait par Renoir (1880, coll. particulière)
1.15 septembre 1877 [samedi] - Wargemont*
Mon
cher ami,
Je reçois votre lettre qui ne m'apporte pas tout le
contentement que j'en attendais. Quel triste rôle jouent dans ma vie les
déménagements de mes amis. L'an dernier, vous ne pouviez venir,
retenu par les papiers à coller rue de Turin*, aujourd'hui Ephrussi ne
peut venir pour cause de tapissier, c'est une fatalité qui me poursuit.
Enfin, je me hâte de vous dire que nous allons passer la semaine seuls
à Wargemont, Marguerite* et moi. Ma mère nous quitte pour aller
à Saint-Saens* chez ma sœur. Elle y restera jusqu'au lundi 24 septembre.
Je vous en préviens parce que je suppose que si vous pouviez recouvrer
votre liberté, Ephrussi* et vous, vous aimeriez autant profiter de notre
solitude. Enfin, pour en finir avec ce sujet, quand vous pourrez venir, vous
êtes sûr de nous faire un vrai plaisir.
Je ne m'étonne pas que vous ayez senti votre épaule
; nous avons ici, depuis quelques jours, une température variable qui
rend la vie à tous les rhumatismes, jeunes ou vieux, et les met en joie,
je m'en aperçois bien, mais je ne puis trop me plaindre. Je n'ai pas
interrompu mes courses en plaine et je suis récompensé de cette
énergie par des sensations agréables de chasse. J'ai eu de beaux
chiffres et des journées de chasse amusantes. Berneval* a tort pour le
moment. Marguerite, André*, viennent souvent à la chasse ; du
reste, le vent a soufflé depuis quelque temps, de façon à
compromettre les bains de mer. Il faudrait votre présence à Wargemont
pour ramener à Berneval les promeneurs de la maison.
Si vous avez occasion de passer du côté de la
rue Pigalle*, vous seriez bien aimable de voir un peu par vous-même si
le tapissier commence à poser les tentures et où il en est de
son travail. Vous me tiendriez au courant de ce que vous auriez vu et je saurai
si je dois stimuler son zèle.A bientôt, j'espère, mon cher ami ; rappelez-moi
au bon souvenir de Monsieur Cernuschi et croyez à mes sentiments les
plus affectueux.
P. Bérard.
* Wargemont : désigne le château des Bérard, (à 76370 Derchigny-Graincourt, 8km
env. de Dieppe) - peintures et décors de Renoir qui y fit de fréquents séjours (photo état actuel)
*rue de Turin : domicile de Charles Deudon, au n° 13
*Ephrussi : Ignace Ephrussi qu’on verra aller souvent
à Wargemont
* Marguerite : Madame Bérard - André : leur fils - portraits
par Renoir
* Saint-Saens : en Seine-Maritime, à 15km SE de Neuchâtel-en-Bray
* Berneval : petit port de pêche, à 12 km environ de Wargemont - Renoir a fait un tableau Pêcheuses de moules à Berneval, 1880 coll. Barnes
* Pigalle : adresse de l'hôtel des Bérard, 20 rue Pigalle, aujourd'hui démoli (AD)
2. 20 octobre 1878 [dimanche] - Wargemont
Mon cher ami,
J'approuve fort votre projet de vendre votre propriété de Saint-Clair*, surtout si vous êtes disposé à la remplacer par une acquisition du côté de Dieppe. Nous fouillerons ensemble le pays et nous trouverons ce qui vous conviendra. Vous étiez là-bas perdu dans une contrée véritablement trop lointaine de Paris, où le moindre déplacement entraînait trop de misères de voyage.
Nous comptons toujours revenir à Paris vers le 15 Novembre. Nous avons eu ces temps derniers une série de beaux jours qui me paraissent terminés. Ce matin il pleut et tout annonce une triste journée. Ma vie n'a pas changé et comme vous avez pu le constater pendant votre séjour à Wargemont, mes matinées se passent à courir la plaine. J'en rapporte toujours quelques lièvres ou perdreaux à la grande joie d'André qui m'accompagne deux jours par semaine. La pensée de vous rejoindre à Paris m'aidera à y rentrer volontiers ; sans elle je m'attarderais volontiers ici. Cette vie monotone où l'imprévu ne dépasse jamais une proportion mesurée, ne manque pas de charme. Je plante et j'abats des arbres en cette saison, et chaque jour amène son occupation sans fatigue pour le cervelet.
Mr Cahen* nous quittera vers la fin du mois. Je le regretterai, et je puis dire, nous le regretterons modérément. A mesure qu'il s'est mis à l'aise, ses qualités ont été remplacées par des imperfections, et sans chose grave à lui reprocher, il s'est rendu peu agréable. De plus il a, contrairement à son programme, laissé André en retard pour le latin, et nous devrons attendre jusqu'à Pâques pour le faire entrer en septième. A ce propos, je vais vous demander un service. Tentant de faire entrer André à Pâques 1879 en septième à Rollin, je voudrais savoir si le professeur de septième du collège Rollin (Boulevard des Batignolles) pourrait lui donner des répétitions cet hiver, de façon à le mettre en état de suivre la classe de septième à Pâques. Pourriez-vous prendre la peine d'aller à Rollin, de prendre l'adresse du professeur, de savoir de lui s'il pourrait donner des répétions en lui signalant le cas spécial ; vous me rendriez réponse et si le professeur vous paraît bon à prendre, je lui écrirais d'ici pour régler les conditions. Vous me rendrez là un grand service. Sans laisser refroidir votre bonne volonté, je vous demande encore de vouloir bien retirer à l'Exposition, quand on pourra le faire, les deux objets achetés par moi à l' Exposition japonaise et dont je vous envoie ci-joint le bordereau. Reste à payer 70 fr. et je vous prierai de garder ces deux objets jusqu'à mon retour.
Vous devez réellement avoir de la peine à suivre derrière Cernuschi et [Charles]
Ephrussi. Je connais peu de choses aussi fatigantes que cet attelage, sans entrain chez soi, à des gens qui en débordent. Enfin, tout est difficile pour en revenir au mot de Cernuschi, auquel je vous charge de faire toutes mes amitiés, ainsi qu'à Ephrussi. Mon frère va bien ; il a repris sa vie et compte partir demain pour Paris où il passera quelques jours. Chacun ici vous envoie, mon cher Deudon, mille amitiés. Tout à vous.
P. Bérard.
*Saint-Clair : désigne la propriété acquise par Charles Deudon en 1865 à St Clair-sur-l'Elle, dans la Manche (25km N de Saint-Lô) - il en est toujours propriétaire en 1888 (photographie archives famille Deudon)
* Cahen : est probablement Albert Cahen d’Anvers dont il existe un portrait fait par Renoir à Wargemont (voir lettre 18 d’Albert Cahen) en 1881, mais les leçons de latin sont surprenantes.
3. 7 septembre 1881 [vendredi], Wargemont
Mon cher Deudon,
Ignace [Ephrussi] est avec nous depuis hier et je crois, d'après ce qu'il me dit, que vous pourriez venir nous rejoindre avant Dimanche prochain. N'hésitez pas à venir dès que vous pourrez, demain si vous êtes prêt à vous mettre en route. Nous avons une chambre à vous donner. Dites-moi l'heure de votre arrivée à Dieppe, si vous avez le temps, je vous enverrai la voiture à la gare. Renoir renonce à son voyage à Trouville. Nous lui trouverons de l'occupation ici ; le portrait donne.
Au plus tôt possible, mon cher ami. Tout à vous.
P. Bérard
PS1 : Venez par tramway électrique ou par téléphone, mais surtout de la manière la plus rapide. Renoir.
PS2 : Prenez un ballon et surtout ne vous trompez pas de vent. Arrivez par le chemin le plus court au plus vite. A vous. Ignace
4. 23 novembre 1881[mercredi], Wargemont
Mon cher ami,
Nous partons décidément samedi 26 novembre et nous arriverons pour l'heure du dîner. Je suis tout naturellement pressé de vous voir ; si donc, samedi soir, vous pouvez pousser jusqu'à la rue Pigalle, ce serait parfait. Mille amitiés.
P. Bérard
5. 12 décembre 1883 [mercredi] - Paris
Deudon fait un voyage à Rome et Naples
Mon cher ami,
Votre lettre m'a fait grand plaisir et je vous remercie d'avoir, dans votre vie occupée, pensé à me donner de vos nouvelles. J'espère que vous ne tarderez pas à nous revenir et je voudrais que ma lettre allât vous chercher inutilement à Naples. Je ne suis pas seul à vous attendre avec impatience. Je suis allé voir Cernuschi qui m'a dit combien vous lui manquiez. Il est satisfait d'un parti qu'il a pris. Il fait venir une masseuse qui lui procure un vrai soulagement. Cependant, il me parait peu bouger de chez lui. On le trouve à n'importe quelle heure, dans sa grande robe de chambre à fourrure blanche. Il se distrait en en s'occupant d'une brochure sur le bi-métallisme. A la fin du mois, il partira pour Nice, sans savoir d'avance combien de temps il y passera. Duret est à Paris ; je n'ai pu encore le voir. Il va, je pense, s'occuper de l'exposition des œuvres de Manet. Il a fait faire son portrait, à Londres, par Whistler.
Quant à Renoir, il est dans une crise de découragement. Son vaste atelier l'épouvante et il ne peut rien y faire ; sauf le portrait de Madame Clapisson, je n'ai rien vu de nouveau et il n'a aucune commande. Il reconnaît que le souci des gros termes de loyer à payer le ronge, et il regrette aujourd'hui d'avoir quitté son petit atelier de la rue St Georges. Je suis, d'ailleurs, épouvanté de la difficulté qu'on rencontre à faire accepter sa peinture. J'ai fait les frais d'un beau cadre pour le portrait de Lucie*, je l'ai accroché en bonne place dans mon cabinet, et Marguerite et moi nous pâmons de contentement devant lui. Mais hélas pour Renoir, nous ne pouvons faire partager notre satisfaction, et ce portrait, si différent des portraits genre Heneker* épouvante les gens.
Charles Ephrussi prépare son exposition du siècle dernier chez Petit*. Ignace va bien. Pillet-Will* est de retour à Paris. Je n'ai rien à vous conter, voyant fort peu les gens que je connais ici. Je me débats mal contre les rhumatismes ou la goutte. J'ai bien cru que j'allais repasser par toutes les misères que j'ai connues venant des yeux et je ne suis pas quite (=) de cette alerte.
A bientôt j'espère, mon cher Deudon. Mille et mille amitiés.
P. Bérard
* portrait de Madame Clapisson par Renoir, actuellement à Chicago (Art Institute)
* Lucie : fille cadette des Bérard née en 1880 - figure dans l'après-midi des enfants à Wargemont, de Renoir (1883, Berlin Nationalgalerie)
*Heneker : pour Henner ?
* Petit : Georges Petit, propriétaire d'une galerie de tableau, marchand, a contribué à la popularité de la peinture impressionniste
*Pillet-Will : il y a plusieurs P.-W. à Paris à la même époque (dont deux, le père et le fils, sont ou seront régents de la Banque de France) - il pourrait s'agir ici de Maurice, à peu près contemporain à la fois de Bérard et de Deudon
Peintre, a réalisé des portraits mondains de l'époque - pour cette correspondance, portraits de : Loulia Warchawsky (Madame Albert Cahen d'Anvers) et sa sœur Marie (Mme Edouard Kann), Jacques Edouard Kann, époux de Marie Warchavsky, Enrico Cernuschi. En 1882 précisément, il venait de terminer le portrait de Marie Warchawsky-Kann, c'est peut-être ce portrait que Charles Deudon allait voir.
sur le portrait de Jacques Edouard Kann |
7.14 février 1883, mercredi - 48 rue de Bassano
Désolé, cher ami, de vous savoir indisposé. J'espère que ce ne sera rien.Bien entendu, venez quand bon vous semblera, vous ferez toujours plaisir à votre tout dévoué, Léon Bonnat
Philippe Burty : critique d'art, spécialiste d'art japonais, ami de longue date des frères Goncourt qui le mentionnent dès 1860 - est, en 1882, un ami de fraîche date de Charles Deudon
10. 9 janvier 1882, lundi
Mon cher Deudon,
Je ne connais personne dans la famille de ce pauvre Dumarest.
Voulez-vous faire parvenir cette carte à qui de droit ? La nouvelle de
sa mort si brusque me frappe et m'afflige. Il avait la relation mondaine amicale.
Il était intelligent. Nous nous étions souvent rencontrés sur le terrain de l'Hôtel Drouot, qui n'était pas celui des fats
et des riches qui ont envahi le marché chez les marchands. Enfin, il
avait les dons extérieurs de la santé et de cette bonne humeur
qui en découle. Moins je sors, moins je deviens civilisable et plus je
sais de gré aux humains d'être égaux d'humeur, intéressants
de conversation et polis. Les déjeuners du dimanche y perdront un causeur
et vous sans doute y perdez un vieux camarade. Cernuschi ne m'avait pas averti de son départ. M'avertira-t-il
de son retour ? Si vous le voyez, faites-lui mes compliments de bonne année,
et vous, mon cher Deudon, voyez en moi un ami de fraîche date, mais sincère.
Ph. Burty.
11. [18] septembre 1888, mardi *- Paris
la lettre est clairement datée mardi 15 7bre 88, mais le 15 étant un samedi, je propose mardi 18
Cher Deudon,
Je devrais dater cette lettre de Dieppe,
mais il est trop tard ! J'avais reçu un billet de Dickins* qui m'invitait
à venir le retrouver à Royal Hôtel et j'ai passé
trois jours de ravissement, pur ravissement. Le ciel était si pur, la
mer s'y montrait si calme, la campagne était si attrayante que je me
suis baigné dans le bouddha qui s'anéantissait comme un pur croyant.
C'était divin, par tous les pores. Les oreilles ont dû tinter pendant
tous (=) ce temps, car Dickins m'a souvent parler (=) de vous, en ami ; et de
Cernuschi qu'il a pratiqué pendant son voyage. Il est fort instruit et,
en particulier, il se tient au courant de toutes les choses de notre littérature.
Sa conversation a un charme tout particulier, et ce qu'il raconte sur le Japon
vaudrait la peine d'être mis en volume.
Au retour, je me suis arrêté à Rouen et j'ai trouvé la ville tout en émoi du succès qu'avait obtenu Carnot ; le jour de la revue (il y avait 35 mille hommes) a décidé le succès dans cette population qui ne s'abandonne pas facilement. Les officiers prussiens et italiens ont fait bande à part ; cela a été fort commenté par les ouvriers dont " les regards, m'a dit un ami, étaient tout rouges ".
Si vous passez là, ou si le cœur vous en disait pour y faire une petite pointe, votre temps ne sera pas perdu : la vieille ville se transforme; les vieilles sculptures étaient au plus mauvais état, l'hiver de 1879, avec son grand hiver, leur a donné le coup de grâce. Le nouveau monde a donné naissance à des maisons élégantes, vraiment superbes. J'en suis ébahi. Mais le Musée de Céramique est vraiment national. Vrai, c'est à voir. Quelle variété !
Ces jours derniers, j'ai poussé jusqu'à jusqu'à (=) une petite ville où s'étaient passées les premières années de ma jeunesse, Brie-Comte-Robert. J'ai reçu une bien étrange impression de tristesse ! mais la campagne, les champs, les chemins, tout est demeuré tel que je l'avais connu !...Adieu, cher ami, voilà une lettre qui n'est que pour me rappeler à votre souvenir paresseux. Vous devez savoir que je vous vois tranquille et heureux. Cernuschi est, je pense, encore à Royant (=) avec Duret et les Charpentier. Son voyage devait finir avec les beaux jours et voilà l'été qui repart, pour faire oublier son faux départ !
Ph. Burty.
* Dickins : F.Victor Dickins, 1838-1915,
médecin, avocat, traducteur, excellent connaisseur du Japon où
il résidait avec femme et enfants et dont il parlait la langue – avait
rencontré Cernuschi lors du fameux voyage de 1871 – de nombreux sites
à son nom dont en particulier http://www.ganesha-publishing.com/dickins_intro.htm
*Charpentier : Georges, éditeur, et sa femme Marguerite Charpentier - tiennent un salon où se côtoient hommes politiques, écrivains, artistes - amis de Duret - plusieurs portraits par Renoir
* le portrait de Philippe Burty provient du
site http://www.histoires-litteraires.org/icono/burty.gif que je remercie
CERNUSCHI Henri (Enrico) 1821-1896
Homme politique italien, chassé d'Italie à la suite de sa participation aux mouvements de révolte anti-autrichienne, comme en témoigne une médaille commémorative de la "libération" de Milan en 1848, médaille ayant appartenu à Charles Deudon, aujourd'hui au Musée Cernuschi à Paris - également banquier et un des fondateurs de la Banque de Paris (1869), future ParisBas (JA), Goncourt l'appelle le millionnaire (12 mars 1890) - amateur d'art et surtout de chinoiseries et de japonaiseries - fait un voyage en Chine et au Japon en 1871-1872 avec Théodore Duret - lègue ses collections et son hôtel à la Ville de Paris (aujourd'hui Musée Cernuschi) - portrait par Bonnat - Goncourt (5 février 1876) fait un portrait assez long et vivant de Cernuschi, dans lequel on retrouve le financier et le républicain et on apprend qu'il parlait un baragouin franco-italien. Il était intime du clan Ephrussi. Il a une écriture difficile et parfois impossible à lire.
19. 24 juillet, (cp à demi effacé, adressée à Paris 13 rue de Turin - décade 1880 (1880 probable, 1884 et 1888 sont possibles) - Grand Hôtel d'Aix-les Bains - papier à en-tête 7 avenue Vélasquez
Mon
cher ami,
En revenant de Chamounix (=), j'ai trouvé
votre bonne lettre et je viens vous renseigner. Je resterai ici encore une quinzaine,
puis je rentrerai à Paris, renonçant pour le moment à de
nouvelles excursions. Au bout des quinze jours, je ne serai pas complètement
rétabli, mais suffisamment satisfait. Le temps et le repos feront le
reste.Bernstein est ici depuis quelques jours.
Sa femme arrivera ce soir de Voiron. M. Pillet-Will, femme et enfants, sont
aussi à l'hôtel. M. Albert Cahen qui soignait ici sa gorge et sa
sciatique part pour Nüremberg où il se rencontrera avec sa femme,
notre nièce*, Bonnat, Bourget à fin d'aller à Beyrout Wagner
(=).
Depuis quelques jours, le temps est mauvais,
d'accord avec Paris.
Le télégraphe annonce que
Gladstone a retiré hier le projet de contrat avec Lesseps. Puisqu'on
n'en voulait pas, il a bien fait. Au moins, il s'épargne un vote hostile
du Parlement. Mais je trouve Gladstone plus raisonnable que ses compatriotes
et je suis content de voir que je suis, en cela, de votre avis, comme sur bien
des choses.J'ai reçu une lettre d'Ignace, pleine
de bon cœur. Je vous demanderai la vie de Cobden* quand nous serons à
Paris tous les deux. Ici, contre mon habitude je ne lis que des romans. L'île de Wight mérite un détour,
et ce sera bien que vous ne l'oubliez pas dans votre tournée.
Bonjour, mon cher ami, ne communiez pas
trop et portez-vous bien. t à v.
H. Cernuschi.
* Richard Cobden, 1804-1865 - industriel, économiste
et homme politique anglais
* portrait de Cernuschi par Léon Bonnat,
1890, Musée Bonnat à Bayonne
* notre nièce : voir lettre 21
20. 29 [mai 1882, cx] lundi - 7 avenue Velasquez
Cher ami,
Je vous remercie de m'avoir donné
de vos nouvelles, et je suis bien content d'apprendre que vous déjeunerez
au Parc* Dimanche [5 juin]. Je pense même que vous serez à Paris
avant la fin de la semaine. La bonne santé de Duret me fait plaisir.
Il n'y avait hier à déjeuner que LaFerrière* et Kaempfen
*. On sera nombreux Dimanche. C'est Dreyfus qui a eu votre place à
la Gaieté ! Je ne vous parle pas de la Dame aux camélias, car
je sais que personne plus compétente* devrait vous en écrire. Madame Emilie Ephrussi, Anna et Tascha sont
à Paris. Je dîne au 48* mardi et les trois viendront dîner
avec Madame <Hachiva? * >
et vous (retenez la chose) au Parc lundi prochain. Au revoir, mon cher ami.
t. à v.
Henri Cernuschi.
* le Parc : désigne l'hôtel de
Cernuschi, avenue Velasquez à l’entrée du parc Monceau, donc chez
lui-même
* Laferrière : Edouard Laferrière,
voir lettres 135 & 136
*Kaempfen, Albert : rédacteur en chef du Journal Officiel, directeur des Beaux-Arts
(1882) puis des musées nationaux (Ricatte)
* la personne plus compétente : Fanny
Ephrussi, voir lettre 65
* Madame Emilie Ephrussi : Emilie Porges femme
de Ignaz Ephrussi (de Vienne) et tante des trois frères Ephrussi, avec deux de ses
enfants, Anna et Victor (diminutif Tascha), né en 1860 qui succédera
à son père à la banque Ephrussi de Vienne.
* le 48 : s'agissant d'une adresse familière,
cela peut être le 48 rue de Bassano (chez Léon Bonnat) plutôt
que le 48 rue Lapérouse, hôtel particulier de Michel Ephrussi ou encore une toute autre adresse
* Hachiva : la lecture du nom étant douteuse, la recherche Web ne permet pas davantage d'éclaircissement : ce nom est aussi bien japonais que juif (mais pas les deux en même temps)
21. Paris 10 décembre 1883 (cp), lundi - 7 av. Vélasquez
Charles Deudon est à Naples
Mon cher ami,
J'apprend par votre lettre de Rome que vous
n'avez pas trouvé de livres de moi à Rome ! Je
vous ai télégraphié à ce sujet . Peut-être
à l'heure qu'il est, ma lettre vous a été remise. Si vous
étiez parti pour Naples sans l'avoir reçue, vous feriez bien d'en
écrire au receveur des postes à Rome. Je suis bien content de vos bonnes nouvelles.
Je suivrai vos instructions. Du reste, je suis très peu exposé
aux <?…toires> car je travaille toujours et je ne fais pas de visites.
Depuis votre départ, je n'ai pas encore vu la nièce*. C'est-à-dire
que je n'ai pas rendu la visite faite avec l'autre nièce*. J'avais des
américains et américaines à déjeuner hier dimanche.
Les curieux n'ont pas eu l'occasion de me questionner.
Je n'ai absolument aucune nouvelle à
vous fournir. J'ai entrepris de me faire masser les genoux. Je m'en trouve très
bien. Duret va bien. t à v.
H. Cernuschi.
* la nièce et l'autre nièce : non identifiées - pourraient être Marie et Loulia Warchawsky, appelée nièces par taquinerie ou par affection - voir lettre 23
22. sans date - décembre 1883 probable (cp : 28 … [?3] peu lisible), Marseille
Cher ami,
Je suis parti hier soir pour Avignon ce
qui m'a empêché d'aller au <…?…> Ferd. Dreyfus Porgès.
Je vous écrirai de Marseille pour
savoir si vous me rejoignez sur le rivage.
t. à vous,
H. Cernuschi.
23. 27 décembre 1883, jeudi - papier en-tête Splendid Hotel, Nice,
Mon cher ami,
Arrivant hier à Menton, j'ai trouvé
à la gare mes frères* qui m'y attendaient et le colonel qui attendait
Mrs Sanders (?), monté à mon insu dans mon train à Monte
Carlo. Rencontre explosive, vous le pensez bien. Ce fut un grand plaisir pour
nous tous. Le colonel et sa femme sont très bien installés. Ils
ont un salon aussi orthogone que le socle de Proudhon. Ils sont heureux et représentent
le bonheur. Le colonel m'a dit avoir reçu de vous une longue lettre où
vous lui annonciez la possibilité pour vous d'aller en Angleterre pour
les soins de vos affaires. Je vous plains un peu. Fog, fog. J'ai lu dans les
journaux des histoires dont cette (=) fog a été la cause. Des
amants se sont précipités dans l'eau sans le savoir tant le ciel
était ténébreux à l'heure de la confidentielle promenade
! Et ici, ce matin, on ne peut se promener sur la plage sans ouvrir la grande
ombrelle de Louis-Philippe.
Nous ruminons, Constantin et moi une course
à Alger. Demain, rendez-vous à Monte Carlo.
Après-demain, je me promets d'aller à Cannes faire visite à
notre nièce*.
Mes amitiés aux <mot
illisible> amies et aux amis, c'est-à-dire
le clan Ephrussi, rues Monceaux* (=), faub. St Honoré* et Bld Malesherbes*. Une ligne de vous ici me sera très
amical (=).
t. à vous, H. Cernuschi.
* mes frères : Cernuschi n'avait qu'un seul frère, Constantin - on peut penser qu'il s'était construit une cellule familiale spirituelle avec des "nièces" (les soeurs Warchawski ?), et des "frères" (les frères Ephrussi ?) - dans l'autographe, l'expression "mes frères qui m'y attaendaient" est bien au pluriel
* 81 rue Monceau : adresse de Charles et Ignace
Ephrussi
*68 rue du Faubourg St Honoré et 97 bd
Malesherbe : deux adresses de Jules et Fanny Ephrussi, le 68 leur adresse courante jusqu'à sa vente, le 97 un appartement provisoire pendant la onstruction du 2 place des Etats-Unis (voir lettres de Fanny Ephrussi 80 et 81et note Ernesta Stern)
* notre nièce : voir lettre 21
Journaliste, critique d'art, collectionneur,
ami et exécuteur testamentaire de Manet - Goncourt le qualifie de marchand
d'eau-de-vie japonisant (était fils d'un négociant des Charentes)
- portraits, par Manet (1868), Whistler (1882), Vuillard (1912)
29. 30 octobre 1878 [mercredi] - Cognac
Mon cher Deudon,
J'ai regretté de ne pas vous avoir
vu une fois de plus avant de quitter Paris. Ah, les affaires* ! quelle source
de tyrannie ! Vous m'avez parlé d'un article* de M. Earle dans le Fortnightly.
Je voulais vous demander, et maintenant je viens vous prier, de me l'envoyer.
Vous l'aurez sûrement et, si vous l'avez prêté à Cernuschi,
vous pourrez en temps et lieu le reprendre pour en disposer en ma faveur. Votre
ami Earle a été si plein de bienveillance pour moi, qu'en dehors
du plaisir que me promet son article, je lui dois une lettre de critique et
de réflexions qui lui prouvent que je l'ai lu avec soin.
Par parenthèse, je n'ai pas de chance
comme auteur. Rares sont les critiques qui veulent bien s'occuper de moi et
parmi ces rares, deux des plus bienveillants viennent de disparaître :
Erdan* qui est mort et Hirsch qui vient d'être expulsé de France.J'espère que vous aurez pu conclure
quelque opération commerciale avec l'ami Pissaro. Au prix où ses
toiles sont quotées (=), on peut lui aider à faire bouillir sa
marmite sans s'exposer à n'avoir plus de quoi faire bouillir la sienne.
Je lis en ce moment la Psychologie d'Herbert
Spencer. C'est un livre de premier ordre.Mille amitiés.
Th. Duret
* les affaires : depuis le mois de septembre,
T. Duret remplace son père, âgé, dans l'entreprise familiale
(Jules Duret et Cie, négociants en eaux-de-vie) (AD).
* l'article de R. Earle : voir lettre 32
* André Erdan, 1826-1878 : pseudonyme
d'Alexandre André Jacob publiciste républicain (Ricatte)
30. 11 novembre 1883, [lundi]* - en-tête
16 Bury Street*, St James, S.W.
Mon cher Deudon,
Je reçois de Leenhoff *, le beau-frère
de Manet, avis que la salle de l'Ecole des Beaux-Arts est mise à notre
disposition pour l'exposition des œuvres de Manet. Leenhoff est tous les jours, dans l'après-midi,
77 rue d'Amsterdam, à l'ancien atelier de Manet. Puisque vous devez former
partie du comité de l'exposition projetée, vous seriez bien gentil
d'aller voir Leenhoff, pour causer un peu avec lui, lui donner conseil et au
besoin, pousser un peu à la roue.
Je compte être de retour à
Paris au commencement de la semaine prochaine. Je serais déjà
rentré depuis une dizaine de jours, si je n'étais retenu ici par
Whistler qui s'est mis à peindre mon portrait en pied grandeur nature,
habit noir, cravate jaune blanche et gants jaunes. C'est quelque
chose de peu commun ; une œuvre qui, si elle est menée heureusement à
terme, comptera certainement parmi les meilleures et les plus originales du
maître.
Mes amitiés à Cernuschi. A
bientôt et tout à vous.
Théodore Duret.
* la date se lit clairement 11
novembre 1889, mais le contexte dit non moins clairement qu'il s'agit du
11 novembre 1883, c'est un curieux lapsus de Duret
* 16 Bury St. : probablement une pension de
famille - il existe un compte sur papier libre relatif à un séjour
de Charles Deudon à cette adresse du 3 au 16 juin 1888, signé J. Milnes
* Léon Leenhoff 1852-1927 : ici donné pour beau-frère de Manet, frère de sa femme Suzanne Leenhoff,
mais a été également supposé être beau-fils
de Manet (fils de Suzanne Leenhoff) et même fils de Manet (fils de Suzanne
Leenhoff par Manet)
* portrait de Théodore Duret : par
James Whistler, 1882, Metropolitan Museum, New York
C'est ici l'occasion de citer l'unique lettre de Charles Deudon qui ait été retrouvée ; elle était dans les papiers de Léon Leenhof que détenait A. Tabarant, historien et biographe de Manet (AD) . L'exposition rétrospective des œuvres de Manet dont Duret fait état dans la lettre ci-dessus s'est tenue du 5 au 28 janvier 1884 ; Deudon faisait partie du comité d'organisation. Le 5 janvier 1885, un déjeuner réunissait chez le Père Lathuile, les mêmes personnes et c'est à cette occasion que Deudon écrit à Leenhof :
(Paris) 11 décembre 1884,
Mon cher ami,
Vous pouvez compter sur ma présence
au banquet du 5 janvier. Je crains que vous n'ayez fixé
trop haut le prix du dîner. 20 frs sont une forte somme pour des gens
qui ne sont pas riches et les peintres à l'heure présente gagnent
peu d'argent. La grande affaire est d'avoir du monde pour célébrer
notre premier anniversaire. Une fois la chose bien lancée, il serait
temps de se montrer plus exigeant. Pour le bénéfice et en toute
considération, je vous envoie de grand cœur mon adhésion.
C. Deudon.
Inutile de présenter Claude Monet. Charles Deudon n'était pas lié avec Monet comme il l'a été avec Renoir, on peut considérer ces billets comme des lettres d'affaire. De Monet, Charles Deudon a possédé outre les deux tableaux dont il est question dans ces billets, un paysage hollandais (1871), la Gare StLazare de 1877 (actuellement à Cambridge, Fogg Art Museum) et la Route de la Roche-Guyon (1880).
141. 8 novembre 1907 [vendredi] - Giverny par Vernon, Eure
Cher Monsieur,
Je m'empresse de répondre à votre lettre du 4ct.
Je n'ai pas et il n'existe pas de catalogue de mes tableaux en dehors de certaines
notices plus ou moins anciennes. Il ne me serait donc possible de vous donner
les renseignements que vous désirez que si vous pouviez m'envoyer une
épreuve photographique des toiles dont vous ignorez le nom et l'endroit
ou(=) ils ont été faits. Dans ce cas, je me mets à votre
disposition.
Agréez, je vous prie, l'expression de mes meilleurs
sentiments.
Claude Monet.
142. 23 novembre 1907 [samedi] - Giverny par Vernon, Eure
Cher Monsieur,
J'ai bien reçu les photographies de vos tableaux. Je
vous les retourne avec au dos, les indications que vous désirez.
Recevez, je vous prie, l'expression de mes sentiments distingués.
Claude Monet.
Jointes 2 photographies avec mentions de Monet :
Le petit bras de la Seine à Argenteuil 1872
Le jardin des bains à Argenteuil 1875 (pour 1877)
Peintre, auteur, entre autres, des grandes fresques murales du Panthéon et de la Sorbonne ainsi que de tableaux d'une composition un peu académique.
143. sans date - carte de visite
Tous mes meilleurs souhaits, mon cher Deudon - ils sont bien
un peu tardifs, mais de première qualité, je vous assure. Cordialement
à vous.
P. Puvis de Chavannes
144. [28 avril]
Mon cher Deudon,
Il est bien probable que vous en avez, mais à tout hasard,
je vous envoie ces deux*. Tout à vous.
P. Puvis de Chavannes.
Hier, quelle bonne soirée.
28 avril
* on ne saura jamais ce que Puvis de Chavanne envoya en deux exemplaires, des invitations ?
On ne présente pas plus Renoir que Monet. Il a été mis en relation avec Charles Deudon par T. Duret, la lettre R1 montre en outre que Charles Deudon et Charles Ephrussi se connaissaient déjà lorsque Renoir les rencontre.
R1. 30 novembre [1878], samedi - à Madame Charpentier
Chère Madame,
Je déjeune lundi prochain avec des amis intimes de Bonnat,
Mrs Charles Ephrussi et Mr Deudon. Ils m'ont prié de vous demander la
permission de voir votre portrait. Si donc vous me l'accordez comme doit me
le faire supposer votre inépuisable bonté pour moi, nous serons
chez vous lundi vers 1 h. 1/2. Je ne vous dis pas que je vous en serai reconnaissant, ma dette
étant déjà trop lourde pour l'augmenter encore.
Votre peintre ordinaire,
Renoir.
P.S. Avez-vous acheté les plantes, on en vend encore.
R2. sans date [automne 1879] - à Paul Bérard
Mon cher ami,
Je viens de déjeuner avec Deudon, bien portant, gai comme deux pinsons,
il partait dans la Manche*. Il m'a fait part de la mort de votre docteur. Je
ne le connais pas et ne m'y intéresse qu'à cause des enfants.
Madame Bérard doit être bien ennuyée. J'espère vous
voir à Paris au 1er octobre, car je suis à Chatou. Je n'ai pu
résister d'envoyer promener toutes décorations lointaines et je
fais un tableau de Canotiers qui me démangeait depuis longtemps. Je me
fais un peu vieux* et je n'ai pas voulu retarder cette petite fête dont
je ne serai plus capable de faire les frais plus tard. C'est déjà
très dur. Je ne sais pas si je le terminerai, mais j'ai parlé
de mes malheurs à Deudon qui m'a approuvé, quand même les
frais énormes que je fais ne me feraient pas finir mon tableau, c'est
toujours un progrès, il faut de temps en temps tenter des choses au dessus
de ses forces.(…)
en tête de cette lettre, un dessin avec des commentaires au milieu desquels on lit : le docteur Blanche vous dit bien des choses…il trouve que Deudon est un homme bien comme il faut.
publié dans La Revue de Paris, décembre 1968
* dans la Manche : à sa propriété de
St-Clair sur Elle
*je me fais un peu vieux : Renoir a 38 ans lorsqu'il écrit ces mots
R3. sans date - [1880] - à Paul Bérard
Mon cher ami,
Je suis obligé de travailler encore à ce maudit tableau* à
cause d'une cocote de la haute, qui a eu l'imprudence de venir à Chatou
et de vouloir poser (…). Deudon qui devait venir me voir n'a pas montré
son nez et je n'ai vu personne depuis votre voyage. (…)
* ce maudit tableau : les Canotiers
145. sans date [décembre1881, (cx)] Mardi
Cher ami,
Adieu Veni-i-se (=) son beau ciel gris, terre promi-i-se, beau paradis. Je file à Roma et après à Napoli. Je veux voir les Raphaël, oui Monsieur, les Ra, les pha, les ël.
après ça, ceux qui n'en seront pas contents…Je paris (=) que l'on dira que j'ai été influencé.
J'envoie à Paris deux sales études qui arriveront dans une quinzaine,
parce que j'ai chargé un marchand de couleur de les expédier quand
elles seront un peu plus sèches. Je les envoie rue St Georges, vous me
direz si ça vous rappelle Venise*. J'ai fait le palais des doges vu de
St George (=) en face, ça ne s'était jamais fait, je crois. Nous
étions au moins six à la queue-leu-leu.
Amitiés. Renoir.
Les italiens sont tous comme des crins de la [mot ill. Triplice ?]
*Venise : un compte des dépenses confirme un séjour de Deudon à Venise :
Comptes de voyage à Venise
Monsieur Deudon
logement 80
bougies et service 10,80
nourriture 63
voitures 10
Bagages Bell. à Milan 6
pour boire 9
déjeuner chez Florian 1,50
_____________________
156,00 (sic pour 180,30)
voyage de Venise 40
2 déjeuners 6
entrées 2
146. sans date - [17.12.1881, samedi, Naples]
Mon cher ami,
Je ne suis pas bien certain de ma correspondance,
car j'ai changé d'idées en route après avoir
donné des adresses auxquelles je ne me suis
pas rendu. Vous m'excuserez donc si par hasard je n'ai pas répondu à
une de vos lettres. Il y a longtemps que je n'ai eu de vos nouvelles et je réclame
à grands cris un mot un seul. Je suis à Napoli avec
un temps superbe et je vais aller passer quelque temps à Capri. on me
dit que c'est très beau et j'espère y faire quelque chose. Jusqu'à
présent, j'ai passé mon temps à chercher. Je n'ose vous
dire que j'ai trouvé puisque depuis environ 20 ans, je crois avoir trouvé
l'art. Cependant je vais envoyer dans quelques jours une ou deux natures mortes.
Il y en a une de bien. Je ne sais si vous avez vu ce que j'ai rapporté
de Venise. Ce n'est rien. J'espère faire bien mieux et cependant il y
en a une de pas trop mal.
Je m'ennuie un peu loin de Montmartre et je ne continue la série de voyages que pour ne plus recommencer. Je rêve du clocher et je trouve que la plus laide parisienne est encore mieux que la plus belle italienne. J'ai essayé de la figure ce qui m'a fait perdre beaucoup de temps. J'ai une masse de modèles mais toutes, une fois sur la chaise, de trois quarts, les mains sur les genoux, c'est écœurant. Je me rappelle Venise, suivant une fille qui portait de l'eau, belle comme une madone. Mon gondolier me dit qu'il la connaît, je l'embrasse de joie. Une fois sur la chaise de trois-quarts, elle était infecte. Pour faire poser il faut être très ami et surtout savoir la langue.
Je viens de faire une tournée jusqu'en Calabre. J'ai
vu des merveilles mais celui qui m'accompagnait ne pouvait rester plus longtemps
et personne ne parle autre chose qu'un baragouin incompréhensible, même
pour les Italiens, sans quoi au moins là, sans d'autres peintres, si
jamais je revoyage, je retournerai là ; c'est certainement ce que j'ai
vu de plus beau.
J'espère rentrer vers le 15 janvier et vous trouver
en bonne santé. Mettez moi un mot n'est-ce pas. Ami
Renoir.
Albergo la Trinaccia - 11 Piazza Principessa Margherita - Napoli
147. 22 décembre 1883 (cp), samedi
Cher ami
Cette lettre arrivera-t-elle à temps, nous sommes tous
les deux Monet à Monaco, hôtel du Parc et de la Méditerranée,
retour de Gênes, pas bien enthousiastes de Gênes, mais depuis Marseille
jusqu'à San Calo (=) quelle merveille avez-vous vu (=). Bordighera, bref
nous nous promenons d'ici à Hières (=) jusqu'au 31 décembre.
Allez voir le musée de Naples, pas les peintures à
l'huile, mais les fresques. passez-y votre vie, il fait très froid ici.
enchanté de savoir que Napoli vous plaît. Faites en voiture la
route de Castellamare à Sorrente. ami.
Renoir.
allez voir Capri, bon petit vin. veinard qui boit de ce bon vésuvio et de la soupe aux
frutti di mare. R.
nous resterons ici encore 3 ou 4 jours, peut-être 5.
R4. sans date [février 1899] Nice - à Paul Durand-Ruel
Mon cher Durand-Ruel,
Je viens de voir Deudon. Je lui ai dit que vous viendriez le
voir en venant à Cagnes voir ce que je faisais. Faites-en ce que vous
voudrez : il m'a dit ne pas vouloir vendre et je ne dois vous emmener que pour
voir les tableaux. Voyez si vous devez vous déranger. Il a une petite
marine et la Femme à la prune de Manet, et une femme voilée. Une
Gare [Saint-Lazare] de Monet, un paysage Hollande et un Argenteuil, un Sisley,
quatre têtes de moi et un grand paysage de Wargemont.
Comme rien ne presse, voyez si vous devez venir avec Bérard.
Enfin, faites ce que vous croyez devoir faire.Amitiés.
Renoir.
R4, 5 et 6 : publiées in L. Venturi, Archives de l'impressionnisme, Paris 1939.
R5. [2 mars 1899, Cagnes]
Mon cher Durand-Ruel,
Je viens de recevoir une lettre de Bérard : Duret a obtenu de lui un
mot pour Deudon - pour les Bernheim-Jeune. Il eut préféré
Dreyfus, mais il est encore là-bas. Je n'ai pu vous donner de mot pour Deudon, parce que Deudon, très méfiant,
se serait imaginé un tas de choses et l'effet eut été contraire.
Si vous avez vu Bérard, il vous l'aura expliqué. (...) Néanmoins,
je crois que personne n'aura de tableaux de Deudon. J'en suis même persuadé.
(…)
Bien affectueusement, Renoir.
R6. mars 1899, Cagnes
(…) On lui [à Deudon] a offert de la Femme à la prune de Manet autant qu'il voudrait. Le prix le plus ridiculement élevé avec un paysage de moi. Mais je crois que le paysage n'est que pure politesse. Ce n'est donc plus 25 mille, c'est cent mille. (…) c'est très comique de voir la joie de Deudon (…)